*Le texte contient de multiples spoilers


Le sujet de Agra : la place du sexe au sein de la classe moyenne indienne. Le film aborde la question à deux échelles – l’échelle individuelle-psychologique et l’échelle collective-sociologique – correspondant aux deux parties du film. Dans les deux cas, la question sexuelle est intimement liée à la question immobilière.


La première partie envisage la question du point de Guru, un jeune employé de centre d’appel qui partage le rez-de-chaussée d’un petit immeuble de deux étages avec sa mère, tandis que son père vit à l’étage avec sa nouvelle femme. Guru n’a pas accès au sexe. Dans la rue, la caméra souligne la manière avec laquelle il dévisage les jeunes filles. Chez lui, il se masturbe sur les toilettes en échangeant des messages extrêmement crus sur des sites de rencontre. La mère de Guru n’a pas accès au sexe non plus, ayant été rejetée par son mari. Dans la promiscuité, les relations au sein de la famille sont exécrables. Guru devient fou. Il s’imagine une fiancée, Mala, qu’il va jusqu’à présenter à ses parents pour revendiquer la propriété de la terrasse du deuxième étage, où il souhaite construire leur chambre. Il finit par tenter de violer sa cousine, qui revendique elle aussi la terrasse pour y installer son cabinet de dentiste.


Le sexe – imaginaire dans cette première partie – est filmé sans effets. Il est violent. La tendresse et les affects y sont à peine décelables.


La deuxième partie du film commence quand Guru parvient à trouver une fiancée – réelle cette fois. Priti a déjà été mariée deux fois, boîte, et est plus âgée que lui. C’est sans doute à cause de ce qui peut être considéré comme des faiblesses sur le marché matrimonial qu’il décide de la suivre, puis d’aller la voir, et de la revoir. La scène qui fera véritablement basculer le film dans la deuxième partie, aboutissement maladroit de cette approche, semble hésiter en permanence entre scène de séduction et scène de viol. La relation hétérosexuelle est montrée pour ce qu’elle est : une relation de domination, même quand la relation est consentie. Priti peut-elle vraiment se permettre de repousser Guru ?


A peine fiancés, la question immobilière revient. Priti est en conflit avec les fils de son ex-mari quant à la propriété du cybercafé dont elle assure la gestion. Le père de Guru est en conflit avec ses deux femmes car il souhaite vendre la maison pour s’installer avec une nouvelle femme. Guru est en conflit avec sa cousine pour la terrasse de la maison.


A nouveau, Guru trouve un moyen de surmonter la situation. Ce sera grâce à un deal immobilier : la maison sera reconstruite sur 5 étages, opération financée grâce à la vente de deux des nouveaux étages au promoteur immobilier, principal bénéficiaire du deal. S’en suivent les uniques scènes véritablement joyeuses du film : dans la maison en travaux, les membres de la famille font preuve d’attention les un-es pour les autres et se projettent dans l’aménagement de leur avenir. On est alors amené à conclure : la question immobilière précède la question sexuelle (et affective). Une scène de sexe particulièrement habilement tournée – Guru et Priti envisageant des développements immobiliers en plein coït (violent) – met mal à l’aise autant qu’elle tend à confirmer cette hypothèse.


Mais c’est le malaise qu’il faut garder. La scène finale, très belle, figure Guru dans un grand immeuble en travaux. Le blanc du béton brut contraste avec un ciel parfaitement bleu. Face à l’écran, les yeux de Guru disent son émerveillement. Un mouvement de caméra révèle que face à lui, c’est Mala qu’il voit – à nouveau. On comprend alors que l’appétit sexuel et immobilier, le désir de progression sociale des hommes, ne peut pas se contenter d’une première femme et d’un premier appartement. Priti, femme boiteuse, âgée, n’était qu’un moyen. Guru, comme son père, envisage déjà la prochaine étape.


Le film est dur, autant dans son propos que dans sa réalisation. C’était sans doute la seule manière d’aborder un sujet tel que celui-là. Il a le mérite de renouveler la représentation des incels (les « célibataires involontaires »), après celle proposée par Michel Houellebecq ou les échos que l’on peut avoir des incels étasuniens ou coréens, en mettant au cœur le capitalisme et la question sociale, mais sans excuser ni ménager le masculinisme.


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le 26 avr. 2024

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