Alerte Rouge est certainement le Pixar le plus décevant et le moins créatif que j'ai pu voir (ça me fend le coeur de devoir mettre une note aussi basse à un film du studio)... Et pourtant, je pense faire partie du public (jeune adulte) ciblé par cette production. Alors qu'est-ce qui ne va pas?


On peut reconnaître au film le courage d'aborder des sujets délicats pour un jeune public : le passage à l'adolescence et la transformation du corps (littéralement la transformation en panda roux et l'arrivée des premières règles), la découverte de la sexualité, le rôle du groupe d'amis dans la construction de notre personnalité, et enfin la relation parfois toxique entre mère et fille. Et si dans sa première partie le film surprend tant il est peu habituel de voir des productions de ce type traiter ces différents thèmes aussi frontalement (les premiers fantasmes, les serviettes hygiéniques...), il n'empêche qu'il échoue lamentablement au fur et à mesure de son développement.


Il est évident que la réalisatrice Domee Shi a mis beaucoup d'elle-même dans cette histoire et a sans doute voulu faire de Meilin un personnage qui lui ressemblait enfant. En effet, Meilin a des origines asiatiques, vit dans le quartier chinois de Toronto et gère avec sa famille un temple à vocation religieuse et touristique. Sauf que la confrontation entre les traditions familiales et la recherche d'émancipation de la jeune fille est insuffisamment traitée. La culture chinoise de Meilin ne nous est présentée que de manière caricaturale. Le film ne bouleverse à aucun moment l'éternelle représentation, parfois très clichée, qu'on nous présente habituellement de cette communauté.


Et j'en viens évidemment au personnage de la mère, qu'on cherche à nous dépeindre comme une mère toxique et maltraitante à coup de scènes surréalistes et gênantes. Le chara design est incompréhensible même si les dernières tentatives "kaijusesque" auraient pu être intéressantes. Par ailleurs, la pression que subissent les (petits) enfants d'immigrés est en soi un sujet passionnant et insuffisamment traité au cinéma. L'angoisse de ne pas être la fille modèle rêvée par ses parents est un ressenti tout à fait légitime et qui peut aisément atteindre une portée universelle. Sauf que Meilin nous apparaît très heureuse au début du film et semble avoir une relation fusionnelle avec sa mère. Elle ne s'oppose à sa mère qu'au moment où elle commence à avoir ses premiers émois amoureux et souhaite aller à un concert. Ce n'est pas suffisant scénaristiquement, ou alors le passage s'est fait de manière beaucoup trop brutal. Si Meilin ne supportait plus la pression scolaire et le devoir de réussite imposé par sa mère, son rejet aurait été beaucoup plus compréhensible. L'histoire aurait pu avoir un écho particulièrement important dans des pays asiatiques où la pression scolaire et familiale deviennent de plus en plus invivables (je pense notamment à la Corée du Sud et son fort taux de suicide chez les jeunes). Le dénouement final, bazardé en quelques minutes, veut nous faire croire que les traumas familiaux et la pression d'une communauté peuvent s'évaporer comme par enchantement grâce à des embrassades? C'est tout aussi bête et facile que le final d'Encanto.


Dernier point qui m'a profondément déçu : les enjeux du film. Alors que Pixar nous a habitué à des histoires riches et bouleversantes, on se retrouve ici face à un scénario digne d'une série de Disney Channel. L'objectif de Meilin durant tout le film est d'assister au concert de son Boys Band préféré. La relation mère-fille, la pression scolaire, l'angoisse de la transformation en panda sont écrasés par cet objectif sans intérêt. Et c'est particulièrement irritant puisque nous avons pour une fois une jeune héroïne au centre de l'histoire. Il faudra vraiment qu'on m'explique le rapport entre le fait de devenir une femme (constamment répété par la bande de filles) et celui d'assister à un concert de pop. Je ne m'attarderai même pas sur ce parallèle douteux entre la condition féminine réduite aux émois amoureux et fantasmes sexuels. Bonjour le retour en arrière! Ainsi, alors qu'Alerte Rouge se veut un récit d'émancipation, Meilin ne remet à aucun moment en cause ce que la société attend d'elle. Au contraire, elle souhaite en faire partie et en tirer le maximum de profit. Il suffit de voir comment elle utilise sa transformation pour se faire de l'argent à coup de merchandizing bien grossier (là on ne peut pas faire plus méta que Disney qui met lui-même en scène la marchandisation de ses productions), ou même à reproduire des danses sexualisantes pour son jeune âge comme la scène inappropriée de twerk visant à choquer sa mère... A la différence de Rebelle, injustement mal-aimée alors qu'il s'agissait d'un très beau manifeste féministe de la part de Pixar, Alerte Rouge nous propose un récit on ne peut plus consensuel. Et ne me dites surtout pas que c'est normal puisque le but est justement de se mettre à la place d'une enfant de son âge. Vice et versa avait brillamment réussi à créer un récit captivant et riche en péripéties tout en nous plaçant littéralement dans la tête d'une enfant du même âge de Meilin.


Bien entendu, Pixar reste largement au-dessus de la concurrence concernant ce type d'animation. C'est techniquement toujours aussi impressionnant. Il suffit de regarder attentivement la fourrure du panda roux, qui nous donne très envie de le toucher. Luca, autre film un cran en dessous sorti dernièrement de Pixar, m'avait semblé néanmoins plus affirmé sur son esthétique et ses concept arts (sans parler de l'amitié très forte entre les deux garçons, largement mieux traitée que la bande de filles aux chara design insipides d'Alerte Rouge). Et cinématographiquement parlant, je ne me rappelle pas vraiment de plan marquant pouvant rivaliser avec les plus beaux films du studio. Sur ce point, Pixar s'est abaissé au standard des films indigents et pailletés de Disney.


Je finirai en disant simplement que ce n'est pas parce qu'un film ose enfin aborder des sujets qui vous tiennent à cœur et qui sont longtemps restés tabous qu'il faut en excuser la fainéantise de son scénario. Je trouve qu'il y a une sacrée perte de qualité entre Alerte Rouge et En avant sorti en 2020, et qui n'était clairement pas un film majeur de Pixar. En effet, le film de Dan Scanlon reposait sur une aventure initiatique on ne peut plus banale avec une suite d'étapes assez basiques. Et pourtant, le dénouement d'une grande maturité avait choisi d'éviter toutes facilités larmoyantes, dans lesquelles a très clairement foncé Alerte Rouge.

hannahkaah
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le 13 mars 2022

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hannahkaah

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