Un film de cette époque ne pouvait appartenir qu'au domaine peu valorisé du film de propagande. Mais à l'inverse de la grande majorité de la production courrante soviétique on y ressent un souffle épique magistral pour une leçon de patriotisme sur écran noir. L'affrontement russo-allemand se termine en général en football comme ailleurs par la victoire germanique. Les victoires russes bien que rares n'en sont que plus belles.


Et les chevaliers Teutoniques semblent encore une fois invincibles, vêtus de leurs draps blancs tels des futurs linceuls pour leurs adversaires. Des seaux de fer cachent leur tête insensible, alors que les Russes habillés en noir sont coiffés de sympathiques coupes à vin. Les chevaliers, des centaines de figurants parfaitement impassibles et alignés au cordeau comme l'armée de Sauron, sont une implacable machine programmée pour mener une guerre froide, contrastant avec les soldats et paysans russes inorganisés, chaleureux et enthousiastes.


Le film étant tourné en été, et la production ne reculant devant aucun sacrifice, la neige a été recréée par un mélange d'asphalte, de potasse, de sable blanc et de chaux , la glace par de la craie et du verre. Donnez la gestion du Sahara à un technocrate, disait Coluche, il est connu qu'il ne restera bientôt plus un grain de sable. Faites tourner un film où l'action se passe sous la neige à des soviétiques, ils le tourneront bien sûr en plein été... et ils achèteront ensuite le sable.


Mais pourquoi donc filmer des scènes d'hiver en été ? se demande le Français plus familier du Discours de la La Méthode de Descartes que du Père Ubu d'Alfred Jarry. Tout simplement pour exacerber en urgence le patriotisme russe en 1938 face au danger allemand imminent. Mais par suite de l'un des plus incroyables renversements d'alliance de l'histoire ( le pacte germano-soviétique), la propagande anti-allemande n'aura servi à rien et il faudra faire presto machine-arrière et remplacer Alexandre Nevski dans la sélection russe pour le festival de Cannes de 1939 (finalement annulé) par un film ne mettant plus en cause le nouvel ami allemand.


Les vues d'extérieur d'Edouard Tissé (pas le fooballeur) sont soigneusement composées comme toujours. Le metteur en scène adjoint Dimitri Vassiliev n'est là que pour contrôler la loyauté bolchevique d' Eisenstein. Aucun soupçon sur ce plan-là avec le grand acteur (1m98) Nikolaï Tcherkassov, membre du parti communiste, qui interprète brillament le rôle principal du héros invincible.


La partition de Prokofiev spécialement composée pour le film est entraînante ( debout, peuple russe ! Pour une lutte à mort !), colle aux images et souligne l'élan patriotique.
Eisenstein est à l'aise dans les mouvements de masse comme dans les gros plans.
Apparaissent ainsi tour à tour des personnages secondaires marquants sortis de son imagination comme l'organiste de black métal teuton galvanisant les troupes, le chef des chevaliers teutoniques à la femme probablement infidèle, avec son casque à grandes cornes, ou les religieux latins remplis de haine, figure habituelle de ses films. Et pour la romance ajoutée en général aux films de guerre le triangle amoureux avec les amis rivaux se terminera inhabituellement par un heureux ménage à trois!


La bataille du lac Peïpous, avec des scènes filmées en accéléré pour plus de dynamisme, est le sommet de l'oeuvre. Les lourds Teutoniques attaquent en premier en formation en coin. Le mouvement russe d'enveloppement de l'ennemi est parachevé par la rupture de la glace (enfin du verre), à l'endroit même où Alexandre avait voulu attirer les chevaliers allemands.


La Russie est un pays accueillant. Celui qui viendra en Russie pour apporter la paix sera accueilli avec des fleurs. Mais, dit Alexandre, celui qui viendra en Russie avec l'épée mourra par l'épée. Tel est le message final des Russes, toujours valable de nos jours.

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le 17 mars 2018

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Zolo31

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