Alfie, le film, porte sur lui une odeur de scandale qui n’a pas perdu trop de son fumet depuis les années 1960. C’est un film dérangeant, avec dans le rôle titre, un homme à femmes, un odieux salopard, dont les relations avec les représentantes du sexe féminin ne doivent satisfaire que ses propres envies. Il pourra se contenter de passer quelques temps auprès de certaines d’entre elles, mais ce ne sera jamais au prix de la fidélité, qu’il confond avec sa liberté. Son comportement est dangereux pour lui, mais aussi dans ses rapports avec les autres, laissant derrière lui amours blessés, amitiés mises à mal et destins tragiques. Alfie est un parasite, vivant au dessus de ses moyens mais qui s’accommode très bien de certaines entorses à la morale pour vivre. C’est un séducteur et un manipulateur. Mais malgré la difficulté qu’il a de ressentir le doute, chacun de ces moments où il doit faire avec fait entrer de la nuance dans son caractère, nous rappelant qu’il reste malgré tout un homme. Alfie est de ceux qui nous rebute, mais en même temps nous fascine.


Des hommes tels qu’il pouvait en exister des pelletées à l’époque, et encore maintenant. Mais il s’agit d’une figure projetée frontalement aux hypocrites, qui n’hésite pas à s’adresser à nous. Nous ne manquons rien des pensées d’Alfie, mais il nous prend aussi à partie, le regard droit dans nos yeux, nous affirmant ses idées. Le film est une adaptation d’une pièce, et ce procédé est fréquent au théâtre, mais sa rareté au cinéma permet une autre approche, des conséquences plus directes. Ce n’est plus la foule de la pièce qui est visée, mais bien le spectateur. Et la dureté des propos d’Alfie nous interpelle. Il est de bonne foi, dans son esprit, mais il est glaçant dans son amoralité, inconscient de ses conséquences.


Le film n’ignore pas les suites d’un tel mode de vie, dans les rapports aux autres et surtout que ce libertinage à deux fait parfois naître un troisième. Le film aborde la question de l’avortement avec un arrière-plan légèrement moralisateur mais d’une violence rare. L’interruption volontaire de grossesse ne sera autorisée que l’année suivante au Royaume-Uni.


La crainte d’incarner ce personnage atypique à l’écran fut telle que de nombreux acteurs refusèrent le rôle. Le film étant une adaptation de la pièce de Bill Naughton, même son comédien pour la version américaine, Terence Stamp, déclina. C’est Michael Caine qui fut choisi. Il a dans le regard ce petit côté méprisant, mais aussi le sourire enjôleur. Sa stature en impose, il a celle de l’homme à qui tout semble lui réussir, sûr de lui, qui peut regarder les femmes d’en haut.


C’est Alfie, il semble se confondre avec lui. La suite du film, en 1975, se fera sans lui, pour un bien piètre succès critique. En 2004, pour le remake américain (mieux vaut tard que jamais), l’irrésistible Alfie est cette fois ci Jude Law, une combinaison aguicheuse.


Alfie est le héros de son propre film, mais un bien piètre héros. Mais ses quelques soupçons d’ambivalence et ses airs de séducteurs lui offrent une sympathie, certes empoisonnée. Un régal à étudier pour un étudiant en psychologie, je suppose. Alfie un personnage trouble, mais qui en dit long sur son époque, et avec une telle force que le message reste percutant.

SimplySmackkk
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le 24 nov. 2019

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