Alice
7.5
Alice

Film de Jan Švankmajer (1988)

Et si le pire était pour le meilleur !!!

  • En 1988, le roman de Lewis Caroll donna à l’occasion du réalisateur Tchèque Jan Svankmajer de nous donner sa vision de celui-ci en mélangeant des prises de vues réelles et d’animation en stop motion.
  • Dès la séquence d’ouverture, le réalisateur adopte un parti-pris maintenu tout au long du film : Alice est au bord du ruisseau et est cadrée de façon à ce que nous, spectateur, ne voyons pas le visage de l’adulte se tenant à côté d’elle. Ce point de vue à hauteur d’enfant fera office de règle cinématographique : la fillette deviendra, par conséquent, la narratrice de ce film en énonçant tous les dialogues des créatures fantaisistes rencontrées durant tout le long de son périple.
  • Ce point de vue principal va devenir l’enjeu majeur de cette œuvre originale : tout est question de proportions et de tailles. Plutôt que d’opter pour des objets imaginaires, Jan Svankmajer aura cette idée inventive d’utiliser des objets du quotidien et lieux familiers se métamorphosant en objets ou endroits respirant l’étrangeté puisqu’ils sont scannés sous le prisme de l’imagination d’une petite fille rêveuse. Elle se retrouve confrontée à l’étroitesse des choses l’entourant (son corps semble prisonnier et engoncé dans une petite maison de poupée), soit à son immensité (en ingérant des gâteaux ou en buvant de l’encre). L’ingéniosité du réalisateur est de faire naître de la fantaisie dans un environnement réaliste : Les objets les plus banals comme un arrosoir ou des ciseaux prennent une allure mystérieuse, insolite ou angoissante.
  • À travers cette analyse des objets, nous pourrons comprendre la grille de lecture de ce film, à savoir une fable provenant directement d’une imagination enfantine redéfinissant les contours de son environnement habituel. Ses peluches et pantins mécaniques deviennent des personnages à part entière, la cave et le grenier se transforment en des terres inconnues (une promenade à travers du linge qui sèche devient une réelle expédition). Tous les objets du quotidien sont pourvus d’une nouvelle signification. Elle fait écho aux propos tenus par le surréaliste belge sur la théorie de l’objet bouleversant : « ainsi apparaît la nature du véritable objet, il doit son existence à l’acte de notre esprit qui l’invente ».
  • Le film parvient à traduire cet imaginaire enfantin en mêlant une certaine tradition surréaliste et une naïveté naissant de ses bricolages animés image par image et confectionnés à partir d’objet banal. Le côté désuet du film lui confère une véritable poésie (les larmes d’Alice se transformant en piscine). Avec un petit rien, le réalisateur parvient à faire sourdre (NDLR : sortir de terre) une sorte d’inquiétude : une punaise dans un pot de confiture, des clous plantés dans un petit bout de pain, des bestioles imaginaires composées à partir de véritables ossements d’animaux.
  • Alors que beaucoup de cinéastes confondent enfance avec infantilisme, le cinéaste nous plonge dans des contrées inattendues où l’imagination se mêle aux angoisses et à la terreur. Il n’est pas interdit de voir dans le procès d’Alice (la reine l’oblige à lui trancher la tête et à avouer ses crimes) une sorte de réminiscence des purges staliniennes. Le pouvoir de l’imagination fut toujours une des voies royales pour critiquer de manière métaphoriques les régimes totalitaires.
  • Le seul bémol éventuel pourrait être l’insert de la bouche d’Alice, procédé narratif récurrent durant tout le long-métrage. Cependant, nous sommes ravis de faire ce voyage onirique en compagnie de cette Alice au pays de l’imaginaire enfantin. Svankmajer nous donne une vision de l’être humain n’étant qu’un automate et du cosmos pouvant tenir dans la main dans le laboratoire des songes d’Alice. Il le filmera tel un cauchemar dans le paradis verdoyant des enfants où germent en parfaite harmonie imagination et destruction.
Lili-Jae
10
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le 29 oct. 2023

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Lili-Jae

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