Mon envie d'écrire sur ce film était motivée par mon habitus de bête de concours, et par la performance de Fabrice LUCHINI, même si souligner son talent est devenu un oxymore assez lourd aujourd’hui. Ce dernier interprète le maire de Lyon, pilier de la gauche nationale au destin présidentiel, seule « incarnation » éventuelle du parti à la rose en capacité de peser au cours de ces élections. Problème : Il traverse une maladie au caractère épidémique chez les hommes politiques, savamment romancée et mise en scène dans la presse : il n'a, de son propre aveu, « plus d'idées ». Toutefois, il a pleinement conscience que la politique est la seule voie qui lui est imaginable d’emprunter : « Si je ne fais pas de politique, je ne peux rien faire ». À bout de souffle, en manque de « renouveau », il envisage de finir son mandat de maire en toute tranquillité, résigné.


Pour résoudre cette situation, il engage Alice HEIMANN, normalienne, philosophe et ancienne professeure de littérature à Oxford, pour lui « redonner des idées ». À l’habitus intellectualiste et un peu pompeux, elle est censée représenter le décalage avec l’équipe du maire, « politique », composée de branquignols gangrénés par les mots valises du champ lexical de la performance : l’« opérationnalité », l’ « opérabilité », les « comités de réflexion » qui se basent sur des « indicateurs » dans un objectif d’« efficacité ». Cette dichotomie plus ou moins subtile constitue le cœur scénaristique du film, tant Alice et le maire sont partagés entre l’obsolescence programmée du monde politique et les « idées », perçues comme un impossible substrat à une politique vraisemblable. Il y a de quoi se projeter donc.


Ce film a tous les airs d’un rituel continu, d’une initiation, d’une relation entre deux personnes représentant leur contraire (la politique et les idées), qui cherchent à rentrer en collusion sans jamais y parvenir. Cette relation reste toutefois assez pauvre : le manque d’équilibre entre les personnages est ici en cause. Fabrice LUCHINI hérite d’un rôle qui lui permet d’exploiter l’étendue de son répertoire dramatique alors qu’Alice, interprétée par Anaïs DEMOUSTIER (qui a remporté un césar !) a l’air feinte, tant on a l’impression de se trouver à distance des émotions jouées par l’actrice. En perte de repère dans un monde où elle prend ses marques sans jamais adopter ses codes, la dramatisation de son cheminement ne fait que renforcer le sentiment d’un rôle supplétif au géant Luchini. Même si son thème est un peu éculé, ce film reste toutefois agréable, son traitement subtil et sans fioriture pallie en partie ses défauts.


Par ailleurs, mention spéciale au passage où, lors d’une rencontre entre Alice et ses anciens camarades normaliens, une de ses amies décrit la mélancolie d'une génération : « J’ai l’impression qu’à force de faire des études, de passer des concours, on ne sait plus du tout ce qu’on veut faire ni même ce qu’on a aimé un jour. Je n’ai pas lu un livre pour le plaisir depuis des années, on ne sait finalement même plus qui on est, on sort de tout ça lessivé, épuisé, transparent, on a vieilli, on est désabusé, et en même temps on revient à la case départ au moment on ne sait même pas ce qu’on va faire dans la vie ».

Créée

le 8 nov. 2020

Critique lue 363 fois

Critique lue 363 fois

D'autres avis sur Alice et le Maire

Alice et le Maire
trineor
2

Que toute la philosophie au monde ne viendra jamais à bout de faire penser le hollandisme

Lorsque pour la première fois Alice rencontre Monsieur le Maire, celui-ci confie avoir besoin de retrouver des idées. Elle lui demande ce qu'il appelle une idée ; il répond qu'on sait bien ce que...

le 22 oct. 2019

48 j'aime

11

Alice et le Maire
lhomme-grenouille
3

De la tristesse (cinématographique et politique) du hollandisme...

C’est triste… Oui, c’est triste de penser le cinéma comme ça. C’est même triste de penser comme ça tout court. Plus qu’un problème en soi, cet « Alice et le maire » est juste un symptôme. Symptôme...

le 12 oct. 2019

42 j'aime

23

Alice et le Maire
Plume231
5

La République des idées !

L'échange des idées, oui, mais de quelles idées ? Surtout qu'une commune de 50 habitants ne pourrait pas vivre que sur des échanges d'idées, alors ne parlons même pas d'une immense métropole comme...

le 27 avr. 2022

28 j'aime

9

Du même critique

Seven Seconds
LaurentMondélice
7

" Si je meurs à l'étranger, je suis un héros. Mais si on m'assassine dans mes propres rues, je suis

Seven Seconds est une « mini série », format récemment en recrudescence à la télévision américaine, qu’il s’agissent d’histoires tournant autour d’une seule intrigue ou d’anthologies. Ce...

le 4 août 2018

4 j'aime

1

Get Out
LaurentMondélice
6

Film social > Film d'horreur

Ok. C'est rempli d'aprioris que je suis allez voir Get Out. Aprioris à deux niveaux : Encore un film qui traitera du racisme aux États-Unis sous un angle déjà vu (un couple hétérosexuel / inter...

le 6 mai 2017

2 j'aime

Looking
LaurentMondélice
8

Souvenir Gai

Ma série culte à moi. Looking (2014-2015) est une des séries new age les plus « gay » qui soit. Portée par Andrew Heigh, le pape britannique des prod télévisuelles et cinématographiques à thématique...

le 27 janv. 2020

1 j'aime