Quelque part dans le gouffre spatial, un vaisseau au look de soutier militaire trace silencieusement son chemin de retour vers la Terre. À son bord, quatre passagers au long cours, dont un être artificiel endommagé, dorment profondément dans leur caisson cryogénique d’un sommeil sans rêves. Un cinquième passager clandestin vient de venir au monde et cherche déjà à assouvir sa seule raison d’être. La menace tentaculaire a très vite repéré ses proies, endormies, inconscientes, vulnérables. Une saignée acide de la créature suffit à dissoudre le verre d’un des tubes cryogéniques, permettant au nouveau né de profiter du sommeil d’un des passagers pour engendrer en lui sa descendance souveraine. Sitôt après un incendie se déclenche dans le compartiment, poussant l’ordinateur de bord du Sulaco à préserver les quatre dormeurs. Tandis que des choeurs et des cuivres angoissants résonnent en une mélopée funeste, les caissons cryogéniques sont aussitôt transférés dans une navette de secours qui ne tarde pas à être propulsée hors du vaisseau, en partance pour la planète coloniale la plus proche.
Sur Fiorina 161, un promeneur solitaire, tout à ses pensées et vêtu d’un long coupe-vent, avance dans un paysage désolé, hanté par les silhouettes de quelques épaves industrielles. Alors qu’il contemple le rivage bordant l’océan sinistre de cet astre désolé, il aperçoit l’épave d’une navette abîmée en mer, puis un corps échoué sur la plage. En le rejoignant, il découvre qu’il s’agit d’une femme et qu’elle est encore vivante. Bravant les vents violents, il la porte à l’abri des intempéries et parvient à la réanimer.
C’est par ce prologue particulièrement sordide, hanté par les chœurs fantomatiques du Agnus Dei d’Elliot Goldenthal (qui avec Interview with the Vampire et Heat signait ici un de ses meilleurs scores), et la vision de ce rivage sinistre d’où se détache la silhouette bravant les intempéries, que débute l’Assembly cut d’Alien 3. La version alternative du film, intégrant des scènes tournées par Fincher mais non intégrées au montage cinéma sorti en 1992.
Six années séparent le second opus, réalisé par James Cameron, du film de Fincher. Six années durant lesquelles le projet d’un troisième film s’embourba dans le development hell. Étonnant quand on sait qu’Aliens cartonna au box-office et rassura du même coup les producteurs quant à la rentabilité de la franchise. Pourtant si l’ampleur contextuelle du film de Cameron semblait permettre de nombreuses perspectives narratives, sa conclusion clôturait de manière magistrale l’arc narratif d'Ellen Ripley. Alors que l’explosion cataclysmique du processeur atmosphérique avait de toute évidence éradiqué la menace xénomorphe, soufflant probablement le Derelic au passage (quoique bon nombre de comics et jeux vidéos convoqueront à nouveau la monstrueuse épave bien après les événements d’Aliens), Ripley se découvrait en bout de course une fille de substitution et un compagnon potentiel. Comment poursuivre alors la saga ?
À la base, les producteurs Hill, Carroll et Giler ne voulaient pas donner de suite à Aliens. Ce n’est que sous la pression de la Fox qu’ils cédèrent et acceptèrent de mettre un troisième opus sur les rails.
De nombreux développements restaient encore possibles après Aliens dont l’un des plus évidents était un retour sur l’espèce du Space Jockey et sur ses liens avec les xénomorphes (Scott s’en chargera tardivement avec son Prometheus et, de manière plus versatile, Alien Covenant). De même, la cupide Compagnie et ses nombreuses ramifications ne pouvait décidément en rester là. Et pourquoi pas abandonner le personnage de Ripley pour mettre en avant de tous nouveaux protagonistes ? Autant de pistes développées par les réalisateurs et scénaristes successifs (Eric Reid, David Twohy, William Gibson) et qui se heurtèrent finalement toutes au refus des producteurs dont un Walter Hill particulièrement capricieux mais pressé par un grand studio de plus en plus impatient. Remarqué pour son film Le Navigateur : une odyssée médiévale, Vincent Ward apporta son idée de projeter Ripley sur une planète monastique où les colons vivraient comme au moyen-âge. Contre toute attente, Hill laissa à Ward la lattitude nécessaire pour écrire son scénario qui intéressa un temps la Fox laquelle débloqua plusieurs millions pour la construction de gigantesques décors en Angleterre. Mais avec le temps, l’idée de ce contexte médiéval finit par déplaire aux producteurs qui demandèrent à Ward de réviser sa copie. Ce dernier refusa et claqua la porte. Pris à la gorge par la Fox qui avait déboursé une fortune en décors, Hill s’employa finalement à rédiger lui-même le traitement final à partir d’une idée prétexte (d’où vient l’œuf caché dans le Sulaco ?), recyclant au passage bon nombre d’éléments des précédents scénarios refusés (le pénitencier de l’espace, les analogies religieuses, l’hybride alien… des idées également exploitées plus tard par le script de Joss Whedon pour Alien Resurrection, lequel pompa d’ailleurs une grande partie du climax imaginé par David Twohy pour sa version du script d'Alien 3). Si les décisionnaires de la Fox imposèrent le retour de Ripley comme héroïne de ce troisième opus, Sigourney Weaver, alors désireuse de tourner la page, accepta de rempiler à la condition sine qua non que son personnage y soit sacrifié. Il incomba alors au jeune David Fincher, sur lequel la Brandywine jeta son dévolu, de réaliser un film dont la sortie était déjà fixée avant même son arrivée sur le projet et dont le scénario n’était même pas finalisé, réécrit en permanence et à la va-vite par un Walter Hill de plus en plus désolidarisé du film (il se prit même de longues vacances pendant la production). Désireux de garder un certain contrôle sur le développement de ce troisième opus, Hill et ses associés, David Giler et Gordon Carroll, virent à tort en David Fincher, dont ce fut le premier long-métrage, un jeune réalisateur malléable qui se contenterait de faire ce qu’ils lui diraient. Mais Fincher n’avait rien d’un yes man semblable à la majorité des réalisateurs hollywoodiens actuels. À 29 ans, le jeune homme était un pubard et un clippeur réputé, propriétaire de sa propre boîte de prod, perfectionniste dans l’âme et déjà millionnaire. Un futur emmerdeur pour les "vieux" producteurs qui ne connaissaient pas encore son tempérament. Lorsqu’on lui offrit l’opportunité de réaliser son premier long-métrage, Fincher ne se fit pourtant pas prier, d’autant qu’il voyait là l’occasion d’apporter sa propre vision d’un univers cinématographique qui l’avait toujours fasciné et de le nourrir de ses propres obsessions. Son Alien 3, il le concevait dès le départ comme une œuvre désespérée, exhalant des thématiques (la solitude, la marginalité, l’aliénation mentale, la misogynie, la mort…) qui hanteraient toute sa filmographie future. Des obsessions et des figures récurrentes que l’on retrouvera de manière évidente dans ce troisième opus (et plus encore dans cet Assembly cut), mais qui n’empêcheront pourtant pas le cinéaste de renier à demi-mot cette première œuvre, notamment à cause de la tension vécue par le jeune homme lors du tournage (il ne s’entendit que très peu avec l’équipe technique), de l’impossibilité d’engager son propre scénariste (il embaucha officieusement son scénariste qui travailla des mois dans l’ombre pour peaufiner le scénario de Walter Hill et ajouter des idées de Fincher), du mécontentement de la Fox de sa première mouture de 2h30, jugée trop longue (Fincher fut alors contraint de s’atteler à des reshoots, notamment de la naissance du xénomorphe et de la fin du film) et du refus des producteurs de lui confier le montage final (c’est finalement Walter Hill qui définit le montage cinéma, occultant de nombreuses scènes tournées par Fincher dont on peut avoir un meilleur aperçu de la vision dans l’Assembly cut). Ajoutez à cela que Fincher n’a jamais eu le dernier mot sur le choix du casting ainsi que sur les effets spéciaux (appelé à travailler sur le film, H.R. Giger fut finalement débarqué par la production), que son tempérament perfectionniste en agacèrent plus d’un (il prit du retard en retournant plusieurs scènes jusqu’à en être satisfait), qu'il s'est vu snobé par bon nombre de techniciens et par l'exécutif, feu Jon Landau (futur collaborateur de James Cameron, coïncidence...), qui entrava bon nombre de ses décisions sur le tournage (Landau mettra tout sur le compte de l’inexpérience du jeune Fincher), et qu'il s'est vu aussi quasiment volé ses idées par un Walter Hill possessif et égotiste, faisant tout son possible pour dévaloriser le travail du jeune réalisateur en imposant son droit de veto et ses coupes de montage sur la version finale, dénaturant ainsi la vision initiale de Fincher. Une succession de problèmes et de conflits artistiques qui dégoûtèrent le jeune réalisateur au point que celui-ci claqua la porte dès le lendemain du dernier jour de tournage, refusant de superviser le montage en sachant qu’il devrait se plier aux ordres de Hill, et jurant alors de ne plus jamais travailler pour la Fox, allant même jusqu’à les insulter lors d’une déclaration. Des propos tenus sur le coup de la colère et qui n’empêchèrent pas le cinéaste de collaborer à nouveau avec le grand studio, dès qu’il commença à prendre un peu plus d’importance auprès du public et des critiques (Fight Club). Mais cette première expérience fut telle qu’il renia le film, et refusa toujours jusqu’à aujourd’hui de revenir de près ou de loin sur cette œuvre qui lui causa tant de frustration. Y compris de participer de près ou de loin à l’élaboration de cet Assembly cut.
À sa sortie en salles en 1992, Alien 3 fut mal accueilli par le public et considéré comme un semi-échec critique et public (le four du film sur le sol américain fut à peine contrebalancé par son exploitation internationale), la plupart des fans d’hier, et encore d’aujourd’hui, considérant le film comme une trahison pure et simple de celui de James Cameron. Et il est vrai qu’en seulement cinq minutes de son exposition tant dans sa version cinéma que dans cette édition spéciale, l’intrigue d’Alien 3 contredit tout le dernier acte du second opus, le sauvetage de Hicks puis de Newt s’avérant finalement inutile. Là où au début des 90’s, nombre de comics extrapolaient l’univers guerrier de Cameron, convoquant parfois les personnages de Hicks et de Newt comme nouvelles figures héroïques (Guerre pour la Terre de Sam Kieth et Mark Verheiden), Fincher préféra plutôt prendre le risque de débarrasser son film des réminiscences belliqueuses de l’œuvre de son prédécesseur (ici les personnages n’ont pas la moindre pétoire pour se défendre face au monstre) pour renouer avec l’horreur intime et viscérale du chef d’œuvre de Ridley Scott, son modèle (lequel, ô ironie, n’a jamais caché ne pas aimer le troisième opus, ni même le quatrième d’ailleurs).
Animé par un perfectionnisme sans concession et un sens inné de l’esthétisme, et malgré les bâtons dans les roues qu’on lui mettait, David Fincher imposait déjà dans Alien 3 son style visuel si particulier tant au niveau des couleurs (usage du fameux filtre jaune conférant cette ambiance ocre devenue une composante de sa filmographie) que des cadrages, atypiques pour l’époque. Cela se traduit tout d’abord à l’image par la mise en valeur d’une atmosphère et d’une unité de lieu hautement dépressive. Exilée aux confins de l’univers, la colonie carcérale de Fiorina 161 nous est présentée comme une succession de coursives métalliques et de salles désertées, dévorée par la rouille et l’humidité et continuellement fouettée par d’éprouvantes tempêtes. L’architecture délétère de cette colonie quasi-défunte accentue pour beaucoup le sentiment absolu d’abandon et de déréliction, tout semble y être voué à la mort et à l’oubli comme en témoigne non seulement les pensionnaires de l’endroit mais aussi le cadavre-épave de Bishop, abandonné au milieu d’un tas d’ordures (l’idée du synthétique jeté "à la poubelle" sera plus tard reprise dans Alien Romulus). Les derniers occupants des lieux, tous d’anciens criminels, meurtriers et violeurs, ont choisi de rester sur place pour se préserver de toute tentation homicide ainsi que d’une société humaine à laquelle ils n’appartiennent plus et qui se trouve désormais bien trop loin pour eux. Réunis par un même fanatisme religieux en vue de faire pénitence de leurs crimes passés, ces marginaux n’ont simplement plus qu’à attendre que la mort viennent les chercher à tour de rôle dans leur exil. Une faucheuse qui prend à leurs yeux des airs de dragon mythique, créature monstrueuse devenant l’expression de leur châtiment. D’où cette manière qu’a Fincher de sublimer chaque intervention meurtrière du xénomorphe. D’une violence inouïe ces agressions inattendues relèguent un temps la créature au champ de l’indicible (voir son ombre emplissant l’arrière-plan derrière Clemens et l’expression de terreur sur le visage de Golic), Fincher renouant ainsi parfaitement avec l’horreur lovecraftienne qui faisait toute la force du film de Scott. Quand il choisit de nous révéler pleinement le monstre c’est lors d’un face-à-face ambigu entre celui-ci et l’héroïne (le célèbre plan du tête-à-tête). Pas un hasard donc, si son design se charge ici à nouveau de la même symbolique maternelle et sexuelle du premier opus (cette symbolique de sexualité agressive quasiment disparue dans le film de Cameron), le cinéaste ayant eu la bonne idée de supprimer les protubérances nervurées des créatures de Cameron et Winston. Plus bestial et rapide qu’à l’accoutumée puisque né des entrailles de la bête (un chien dans la version ciné, un boeuf dans ce cut), l’Alien de Fincher gagne non seulement en caractère (« Il refuse de me tuer » dira Ripley à Dillon) mais aussi en rapidité et en liberté de mouvements. Des capacités que Fincher accentuera dans le dernier acte du film par des parti-pris visuels plutôt audacieux pour l’époque, notamment dans cette succession de travellings rotatifs et frénétiques en vue subjective figurant la partie de chasse finale dans les coursives exiguës de la fonderie.
Face à la bête, Ripley acquiert une toute nouvelle dimension. Dans Alien : Le huitième passager, elle comptait parmi les enfants du Nostromo, prisonnière in utero à bord d’un vaisseau-mère « Mother » et luttant contre un huitième passager, par ailleurs fils préféré, qui n’avait de cesse d’éradiquer ses rivaux. Dans Aliens, Cameron opérait la transformation de Ripley en figure maternelle endeuillée, trouvant au milieu du chaos une fille d’adoption pour laquelle elle se plaçait finalement d’égal à égal avec l’autre figure matriarcale du film. Un traitement auquel s’oppose de plein fouet l’approche dépressive de Fincher, qui consiste à mettre en scène l’échec de cette tentative de reconstruction, en supprimant dès son exposition, deux des trois composantes de la famille recomposée voulue par Cameron. Ayant perdu ses derniers repères affectifs, Ripley fait alors une fois de plus le deuil difficile de la maternité pour s’accomplir finalement en tant que femme et vivre une liaison avec Clemens, le médecin de la colonie. Interprété par Charles Dance (un des meilleurs rôles du futur Tywin Lannister), que Fincher retrouvera trente ans plus tard pour son superbe film Mank, ce dernier personnage est finalement la réécriture d’un autre dans la précédente version écrite par Vincent Ward. Ancien médecin et prisonnier, Clemens nous est présenté comme un homme pragmatique et désabusé, hanté par ses propres fantômes. Son statut d’amant (le seul amant connu de Ripley) n’en fait pas pour autant un confident privilégié. L’estime que lui porte Ripley, la pousse à lui cacher obstinément les raisons de ses craintes par peur que celui-ci la prenne pour une folle. Pourtant quand les responsables de la colonie se bornent à ne voir dans les premières victimes de la créature que des morts accidentelles, Clemens soupçonne une toute autre cause. Le premier acte du film en fait d’ailleurs un des principaux référents du spectateur, et le personnage bénéficie de séquences supplémentaires dans l’Assembly cut puisque c’est lui qui découvre le corps de Ripley échoué sur le rivage d’un océan sinistre. Le personnage gagne donc une certaine importance, se transformant presque en enquêteur face aux premières morts suspectes alors même qu’il se doute que Ripley lui ment. D’autant que son long monologue, dans lequel il confie à Ripley son passé, lui confère une dimension tragique auquel ne peut que répondre l’empathie du spectateur. C’est pourtant au terme de ce monologue, promesse trompeuse d’une plus grande présence de Clemens dans la suite du récit, que, contre toute attente, le scénario sacrifie cruellement le personnage, alors dernier appui de Ripley. Les actes du monstre poursuivent donc l’héroïne jusqu’à lui arracher tous ses repères affectifs. Au point de la condamner à la solitude la plus absolue, parmi une population carcérale hostile et exclusivement masculine, derniers représentants d’une humanité au bord du gouffre.
En cela, son statut renvoie clairement à celui du xénomorphe vedette d’Alien 3. Exilés sur la même planète inconnue, derniers représentants d’une lutte des espèces passée (dans Aliens), les deux personnages se répondent finalement l’un à l’autre. Tous deux deviennent ici chacun à leur façon des étrangers, des intrus, semblables sur bien des points au huitième passager de Scott. À la différence que l’un nourrit encore quelque espoir quant à son espèce là où l’autre perd progressivement toute attache avec ses congénères. Le fait que Ripley soit la seule femme de la colonie finit d’isoler complètement le personnage, lequel doit alors faire face à la misogynie ambiante. Au milieu des bagnards et avant d’être à leur tête, Ripley n’a plus qu’à se marginaliser jusqu’à se tondre volontairement le crâne (autre constante des personnages rebelles de Fincher) et devenir une créature androgyne, écrasant par son seul charisme tous ses compagnons. Las et fatiguée, mais impressionnante de détermination, elle ne tardera pas à s’imposer comme le leader d’un groupe uniforme et sectaire (première esquisse du club formé plus tard par Tyler Durden) dans lequel hommes et femme se confondent dans une même lutte pour la survie. Son antagonisme intime avec la bête la rapprochera d’autant plus de ses éternels adversaires, qu’elle deviendra elle-même le principal enjeu du film. Portant dans ses entrailles la promesse du renouveau de l’espèce qu’elle s’est toujours acharnée à combattre, Ripley est alors confrontée au choix de son propre sacrifice et doit alors livrer un ultime combat pour sauver une espèce humaine, pourtant symboliquement au seuil de l’extinction. Mais l’espèce humaine mérite-t-elle vraiment d’être sauvée ? (il semble qu’il s’agira de la question centrale de la série Alien Earth qui sera bientôt diffusée).
Cette humanité, le jeune Fincher porte sur elle un regard fortement dépressif et antipathique, plus encore que ses prédécesseurs. Dans son film, l’espèce humaine se résume soit à deux personnages à la mentalité encore fiable, soit à quelques inadaptés réfrénant hypocritement leurs pulsions par la crainte d’un dieu vengeur, soit par des émissaires cupides et trompeurs, tout entiers tournés vers le profit. Même la dépouille méconnaissable de Bishop, pressé que Ripley le désactive, semble ne plus nourrir d’espoir pour l’espèce qui l’a créé. Au-delà de la Compagnie Weyland-Yutani et sa détermination insensément suicidaire à vouloir s’approprier la créature, on retrouve d’ailleurs déjà ici toutes le composantes et les thèmes chers qui nourriront plus tard la vision nihiliste du réalisateur, dont en particulier cette fascination évidente pour le Mal et ceux qui s’en font les représentants. Cela passe tout d’abord bien entendu par la figure symbolique du xénomorphe, par ailleurs seule créature fantastique de la mythologie fincherienne. Débarrassé de toute hiérarchie sociale mais redevenu ici une créature solitaire, le xénomorphe reconquiert son statut de corps étranger, un monstre indicible et solitaire qui envahit la société des hommes et construit son nid parasite au sein-même des fondations pourries d’une bâtisse fantôme. Mieux encore, alors qu’il perturbe et menace une confrérie d’illuminés vouant un culte dissident au dieu chrétien, le xénomorphe prend aux yeux de ceux-ci les atours d’un véritable monstre mythologique, notamment après que l’un d’eux, témoin miraculé d’un massacre perpétré par la bête, qualifie celle-ci de dragon (le fameux Leviathan, bête de l’Apocalypse). Ou comment châtier la lie de l’humanité par le pire représentant du diable, les dégénérés les plus incurables se retrouvant ainsi tous liés par une même peur du Mal absolu.
Outre la figure symbolique du xénomorphe, les préoccupations de Fincher passent aussi et surtout par cette population carcérale, pétrie de pulsions morbides et inassouvies. Véritables rebuts de l’humanité, pour la plupart tous aussi fous et vindicatifs les uns que les autres puisque tous affublés d’un double chromosome Y (ce qui dans la vie réelle n’a absolument rien d’une tare), les pensionnaires de la colonie Fury ont choisi de rester à l’écart de la civilisation afin de se préserver de la tentation du Mal, regroupés en une sorte de confrérie autour d’une foi commune en l’imminence de l’Apocalypse. Leur unique espoir réside dans l’attente d’une rédemption quelconque, obtenue par l’acte de foi et la pénitence. À leur tête, se distingue le gourou Dillon (Charles S.Dutton), ancien violeur et assassin, ici unique représentant de Dieu. Un personnage foncièrement ambivalent à travers lequel Fincher met à mal (une première fois, remember John Doe dans Seven) l’image divine pour mieux insister sur son absence et sur la dégénérescence de ceux qui prétendent encore y croire et s’en faire les porte-paroles. Non pas que Fincher n’y croit pas lui-même (je n’en sais rien en fait), la religion s’exprimant tout au long de son oeuvre par le biais des notions de Mal, de tentation, de péché originel, de solitude et de chute. La figure féminine elle-même tiendra une place prépondérante tout au long de son oeuvre. Tout ce qu’on retrouve déjà ici dans la trajectoire désespérée de Ripley, laquelle conquiert progressivement un statut messianique, décuplé par son sacrifice final.
Cerné par les ténèbres et la folie des hommes, portant en son sein la promesse de l’extinction humaine, Ripley, seule femme de cet univers de cauchemar, décide finalement de s’abandonner à la mort, son corps disparaissant au milieu d’un torrent de flammes, au tréfonds d’une fonderie dans laquelle avaient auparavant disparu les corps emmaillotés de Hicks et de Newt. Ce sacrifice prend une valeur d’autant plus symbolique et définitive qu’il aurait pu conclure de manière magistrale et très audacieuse, sinon la saga au moins la trajectoire de Ripley. Il répond surtout à une composante de l’oeuvre à venir de Fincher, à savoir que la liberté ne s’acquiert que par le deuil de toute chose. Ici Ripley n’a plus aucune raison de tourner le dos à la mort, elle se livre à ses bras en emportant son ultime descendance avec elle (un chestbuster qui ne sera pas montré dans l’Assembly cut, contrairement à la version cinéma, plus explicite). Le sacrifice du héros fincherien ne sera pourtant que très rarement aussi définitif et fataliste, à la tentative de suicide du narrateur de Fight Club et celle du héros de The Game répondra l’acte de renaissance inattendu et libérateur. Mais pas pour Ripley (chez Fincher en tout cas), celle-ci restant encore aujourd’hui la figure la plus tragique et symbolique de l’oeuvre du cinéaste.
Alors certes, dans sa version cinéma, Alien 3 n’est pas dénué de défauts. Ses quelques raccourcis narratifs et ses coupes évidentes (qu'y devient Golic ?) témoignent encore du formidable brouillon qu’il représente. Il suffira d’ailleurs de se livrer à un petit comparatif entre la version cinéma de 1992 et l’Assembly cut de 2003 pour entrevoir un peu mieux la vision initiale de Fincher et se rendre partiellement compte du travail de sape effectué par la Brandywine en post-production, après des premières projections test décevantes. Le film de Fincher s'avérant trop nihiliste et choquant, mais bourré de bonnes idées, Walter Hill entreprit donc de s'en réapproprier le contrôle et de le remonter, coupant près de trente minutes de séquences tout en en refilmant d’autres. Pour preuve, alors qu’elle durait près d’un quart d’heure sous l’objectif de Fincher, la scène des funérailles de Hicks et de Newt fut alors ramenée à une poignée de minutes. Le xénomorphe, lui, nait d’un chien encore vivant dans la version cinéma alors qu’à l’origine il s’extrait du ventre de la dépouille d’un bœuf (Fincher semblait avoir dans l’idée que son xenomorphe naitrait d’un organisme mort, peut-être pour appuyer sa symbolique funèbre). Furent aussi ignorés : la découverte du corps de Ripley sur le rivage (séquence que j’évoque plus haut), celle du super-facehugger, la réanimation de Ripley dans la salle des douches, le charnier que contient l’EEV filmé en parallèle avec le compte-rendu du directeur Andrews, le tractage de l’EEV sur la plage, la discussion dans l’escalier entre Ripley et Clemens, l’autopsie de Newt interrompue par Andrews, certains dialogues et séquences développant l’histoire de Clemens, des prisonniers et du pénitentier, l’enfermement temporaire du xénomorphe, l’émissaire de la Compagnie joué par Lance Henriksen s’écriant "I'm not a droid !"...
Toutes ces séquences retirées du montage cinéma sont présentes dans l'Assembly cut et décrites, pour la plupart, dans la novélisation du film par Alan Dean Foster. Les avoir supprimé resserre le rythme du film mais laisse ressentir parfois les coupes au montage. Sans compter que cela porte atteinte à la cohérence de son intrigue, de même qu'à la vision singulière de Fincher. Preuve en est, la mort de Golic, passée à la trappe dans la version cinéma, et qui devient pourtant déterminante dans l’Assembly cut. Dans cette édition spéciale, des scènes supplémentaires montrent les prisonniers arriver à enfermer le xénomorphe dans une chambre forte et sans issue. Mais tous leurs efforts son réduits à néant lorsque l'illuminé Golic, persuadé qu'il doit servir la bête, tue les gardiens et ouvre la chambre, libérant ainsi le monstre qui le tue en hors-champ. Plus remarquable encore est ce refus de Fincher de dévoiler en bout de course le « queen » chestburster. Un peu comme s’il voulait garantir une forme de pureté dans le sacrifice de son héroïne, véritable Jeanne D'Arc du futur, alors que la version cinéma, plus démonstrative, insiste en quelques plans sur la naissance du monstre en toute dernière minute. Ce qui, quelque part, peut paraître logique, la créature, même en gestation, percevant instinctivement le danger.
À ce titre, il faut souligner qu’il s’agit du seul film de la saga (si l’on oublie les AvP) dont la fin n’est pas calquée sur celle du premier opus. Ici, pas de monstre à éjecter dans l’espace (Aliens, Alien Resurrection, Alien Covenant, Alien Romulus), pas de climax sous forme de face-à-face dans une navette de secours (Prometheus). La mort du xénomorphe dans Alien 3 ainsi que la conclusion du film diffèrent du sempiternel dernier intrus ayant suivi le (les) survivant(s).
Bref, Hill et ses collaborateurs auront beau remonter le film et réduire sa durée, cela ne l’empêcha pas de se vautrer au box-office, le public de l’époque étant alors très peu réceptif à la vision pessimiste de Fincher. Beaucoup de spectateurs d’alors, déçus de ne pas avoir assister à un Aliens 2, ne cachèrent pas leur mécontentement à la sortie du film et leurs critiques ciblèrent principalement Fincher, dont la carrière hollywoodienne était alors plus que compromise. Toujours prompt à y aller de son petit mot, James Cameron lui-même cracha dessus sa vindicte, accablant le jeune réalisateur de reproches pour ne pas avoir donné de réelle suite à son film. Selon Cameron, l'intrigue d'Alien 3, en tuant le personnage de Newt, niait l'utilité du dernier acte d’Aliens. L’ironie étant qu’il fera lui-même la même chose trente ans plus tard, "niant" l’utilité de son Terminator 2 en tuant John Connor dans le scénario de Terminator Dark Fate.
Aujourd’hui encore, Alien 3 demeure l’opus le plus mal-aimé de la saga, alors qu’il se révèle bien plus cohérent et appliqué que sa dispensable suite Alien Resurrection du « frenchy » Jeunet, laquelle mit d’ailleurs un coup d’arrêt brutal à la franchise (alors que sa fin, a contrario de celle d’Alien 3, aurait pu appeler une suite directe). Pour preuve, le cinquième opus avorté du réalisateur Neil Blomkamp, allait jusqu’à nier l’existence de ce troisième opus (ainsi que du quatrième) en réemployant le personnage vieillissant de Hicks, pourtant mort lors du prologue du film de Fincher. Dans la continuité de Prometheus, Alien Covenant empêcha cet Alien 5 (ou Aliens 2) de voir le jour, malgré tout l'enthousiasme suscité par ses dessins conceptuels. La Fox, alors fragilisée et étant à deux doigts de se faire racheter par Disney, misa plutôt sur le second préquel réalisé par Ridley Scott (probablement moins coûteux), lequel nous livra avec son Alien Covenant, un film d'une noirceur évidente, mais bien moins éclatante que celle du film de Fincher. Et puis Disney reprit la franchise en main, son pourtant très réussi Alien Romulus divisant clairement les fans qui ne supportent peut-être plus les corridors de vaisseaux peuplés de monstres ou les modifications apportées à la mythologie du xénomorphe depuis Prometheus.
Dans tous les cas, peu importe si certains continuent de nier la grandeur de ce troisième opus qui aurait très bien pu servir de conclusion définitive à la saga, tout du moins être un beau point final à l’arc Ripley. Après tout, ne dit-on pas que le propre des grandes œuvres est justement qu’elles sont souvent imparfaites et ne plaisent jamais à tout le monde. Récit sombre à plus d’un titre, aussi superbe et fascinant que quasiment orphelin, Alien 3 reste le film fondateur du cinéma de Fincher en plus d’être l’opus le plus pessimiste de la saga. Cette édition spéciale, véritable version alternative, ne fait qu’en appuyer la noirceur et la symbolique, tout en trahissant les difficultés vécues par son réalisateur durant le tournage. Plus intéressant et cohérent que la version cinéma, cet Assembly cut peut donc, malgré son statut de montage non approuvé, être considéré comme un chef d'œuvre inachevé à la gloire d’un des plus grands monstres du 7ème art et de son éternelle adversaire. À son terme, le mot fin aurait pu prendre son sens le plus grandiose et définitif. En attendant que d’autres personnages explorent les étoiles, bien plus tard, à la suite d’Ellen et de ses compagnons.
À ce qu’il semble aujourd’hui, entre les préquelles de Scott, l’Alien Romulus d’Alvarez et la série Alien Earth, c’est résolument vers l’avant Ripley que les auteurs souhaitent se tourner.