All The Love You Cannes par Wykydtron IV

Malgré la façon dont est promu le film, je ne l'ai jamais regardé avec l'illusion que j'apprendrais comment vendre son film indépendant lors du festival de Cannes.
"All the love you Cannes" ne nous apprend rien là-dessus, et ce que Troma fait lors du festival pour sa promotion, seul Troma peut se le permettre, grâce à son esprit décalé et irrévérencieux, et à sa relative notoriété, qui permet de ne se poser aucune limite. Par la reconnaissance que les gens de Troma ont acquis au fil des années, ils peuvent déballer leur excentricité sur la Croisette, peuvent s'autoriser certains excès, en étant défendu contre les journalistes mécontents par les fans et/ou bénévoles à leurs côtés.
Pour un réalisateur ou un distributeur indépendant qui serait nouveau sur le marché par contre, faire la même chose que fait Lloyd Kaufman et son équipe relèverait du suicide.


Comme d'habitude, Lloyd se fait de l'argent avec un peu tout ce qu'il peut, que ce soit des films de merde qu'il distribue ou des vidéos amateurs qu'il fait monter de façon bâclée (j'avoue que je dis ça mais la différence entre les deux n'est pas très nette dans certains cas).
C'est un peu la même chose avec ce "documentaire", qui consiste en un assemblage de vidéos que Lloyd a capturées avec une petite caméra amateure qu'il gardait en main pour filmer de tout et n'importe quoi lors de la 54ème édition du festival de Cannes.
Mais comme c'est fait par Troma, c'est intéressant.
Et quand même, contrairement à "Doggie tails volume 1" que j'ai vu récemment et que je critiquais en même temps que j'évoquais ces foutages de gueule typiques de Lloyd Kaufman, "All the love you Cannes" n'est pas juste un truc monté et vendu en DVD en vitesse. Le montage est un peu plus pensé, exploitant les vidéos dans un ordre thématique et pas toujours chronologique, et l'éditeur a pris le soin d'ajouter des textes (avec des fautes parfois) qui rajoutent une touche comique. Lloyd est déjà marrant, mais le montage, les textes et les sous-titres rajoutés, souvent ironiques, sont un plus.


Lloyd Kaufman cherche quand même un peu à expliquer, pendant un certain moment du moins, comment il se débrouille au festival, comment il fait pour être là, il distribue quelques astuces et indique des trucs à savoir, même si ça ne servira jamais à personne qui n'est pas de Troma.
D'un point de vue éducatif, il est surtout intéressant pour moi de voir dans quelles conditions Lloyd vit le festival de Cannes. Son mode de vie est similaire à ses conditions de tournage : c'est miséreux, et le réalisateur ne recule devant rien pour économiser de l'argent qui lui resservira à d'autres fins. Un certain Jean-Pierre fait gratuitement le taxi pour lui de l'aéroport de Paris à Cannes, Lloyd vole de la nourriture de l'avion, et pour promouvoir son catalogue il s'entoure de volontaires qu'il fait loger dans un appartement pour 4 personnes et dans lequel il estime qu'il y en a au final une trentaine.
Une fois sur place, sa technique de marketing consiste à faire défiler des Tromettes qui se collent des stickers "Troma" sur les seins ou sur les fesses. Comme le dit l'une d'elles avec humour, elle est là pour se "degrade as a woman". Il y a aussi la "Troma parade", où ces jeunes femmes peu vêtues, qui s'adonnent à un peu de lesbianisme entre elles quand il le faut, pour attirer l'attention, sont accompagnés de bénévoles, dont certains déguisés en personnages de l'univers Troma comme Mad Cowboy ou The Killer Condom, qui gueulent "TROOOMAAAAA" dans des porte-voix, sous le regard effaré des passants. Certains boulets, évidemment, cherchent à toucher les Tromettes.


Mais on apprend aussi comment ne pas promouvoir son film : en disant qu'il comporte des gens qui se pissent et se chient dessus. Marrant quand même que Troma ait à cacher ainsi le contenu de ses films, surtout vu la façon dont ils semblent juger que tout ce qui attire l'attention sur eux équivaut à de la pub.
Quand Lloyd apprend que Doug Sakmann a aboyé et craché du sang dans le Carlton, il veut savoir si on voyait des pancartes de Troma autour, estimant que dans le cas inverse, ça n'aura servi à rien.
De la même façon que Troma s'est attaqué au marché du programme pour enfants, y voyant certainement un nouveau moyen de se faire de l'argent, lors du festival on dirait que tous les moyens sont bons pour se faire remarquer, même les plus curieux. C'est ainsi qu'on apprend qu'il y a un programme de recyclage chez Troma, ce qui manifeste par l'installation d'une pancarte "Toxie says Recyclez s'il-vous-plaît" au-dessus de poubelles dans le Marché du film.
Lloyd varie ses activités aussi (je ne sais pas s'il est rémunéré ou non pour ça), en tenant des Q&A à des étudiants dans son bureau au Carlton, en participant à des conférences de presse, ...
Comme il le fait remarquer, malgré sa participation au festival depuis des décennies (en bien, en mal ?), ironiquement, il ne peut pas voir de films, parce qu'il ne peut obtenir de tickets pour des projections. Mais, au cas où, il a un tas de faux pass pour s'introduire là où il n'est pas invité. On reconnaît bien là son sens de la débrouille qui frôle la truanderie.
C'est quand même un aspect moins médiatisé et moins glamour de Cannes qu'il nous montre. Il nous livre d'ailleurs une anecdote sur l'origine du festival, disant qu'il se déroule en mai car lorsqu'il a été créé, c'était une période pluvieuse pour la ville, qui devait remplir ses hôtels malgré tout.


Bien que Lloyd nous partage sa vision du côté underground du festival de Cannes, on ne peut passer à côté des stars qui viennent parader : Calista Flockhart, Ethan Hawke, Quentin Tarantino, Doug Sakmann, Jean-Claude Van Damme, Tiffany Shepis, Count Smokula, ... Et sous la caméra de Lloyd Kaufman, presque chaque apparition est drôle à voir, avec Roger Ebert qui dit ironiquement que tous les bons films vus cette année sont de Troma, Heidi Sjursen qui est à fond dans son rôle issu de Toxic Avenger 4, ...
Assez rapidement, le film laisse tomber l'aspect ludique qui était son point de départ pour plonger de plus en plus dans le délire de la Troma team
Il y a vers la fin cette scène sortie de nulle part, complètement WTF et géniale, où, sous les caméras de Canal+, Lloyd fait mumuse sur la plage avec des Tromettes arrosées de faux sang qui remuent leurs seins et leurs fesses sur son corps. Le montage, la musique, et le texte rajouté à l'image qui apporte une prétention fausse de vouloir présenter une métaphore sur le cinéma indépendant à base de résurrection et de vierges innocentes, créent un spectacle qui relève presque de la transe, chaotique, plein d'excès, et hilarant.
C'est vraiment à part dans le film, mais sinon la dérive de "All the love you Cannes" s'effectue par le fait que le documentaire se met à s'intéresser davantage au bordel que fout l'équipe Troma lors du festival.
Un des moyens de la Troma team pour se "faire de la pub" tout en s'amusant, c'est de recréer des scènes de leurs films, en live. Ainsi Yaniv Sharon déboule sur la Riviera tout nu, comme dans Terror firmer, et d'autres imitent une des premières scènes de Toxic Avenger 4, en foutant du sang et des tripes en plein milieu de la rue.
On finit aussi par suivre régulièrement les frasques de Doug Sakmann (le réalisateur de Re-penetrator et Punk rock holocaust), qui bosse pour Lloyd, et se retrouve souvent bourré, et confronte aussi bien les passants violents, ce qui lui permet d'ailleurs de se faire remarquer par une chaîne de TV, que Scott McKinlay, le responsable des ventes à l'internationale de Troma.


A la fin du film, Troma se fait complètement refuser d'accès au Carlton pour le festival de l'année suivante, 2002.
Depuis la première fois que j'ai vu ce documentaire, je me demandais comment et pourquoi Troma revenait chaque année, surtout que j'avais l'impression que leurs dépenses pour la promotion, les fêtes, le logement, et les factures diverses, ne valaient pas le coup, me disant qu'ils ne devaient pas vendre beaucoup. Et quand ils vendent, on peut voir dans ce film que ce n'est pas bien cher. Mais c'était peut-être une impression due au fait qu'ils vendaient peu à la France (Lloyd le fait remarquer lui-même ; et à partir de Terror firmer, on n'a plus eu de Troma en DVD chez nous), ce qui m'a fait occulter les ventes dans les autres pays, qui étaient permises grâce à festival justement.
Jusqu'en 2010, Lloyd et son équipe continuaient d'aller à Cannes. Evidemment, il a fallu qu'ils arrêtent l'année où j'y suis allé, alors que la première chose qui m'est venu à l'esprit quand j'ai su que je pourrais m'y rendre était "oh putain je pourrais voir Lloyd Kaufman et la Troma team" (et les Tromettes, oui, certes).
Il faut croire que le festival est venu à bout d'eux. Ca devait bien arriver un jour.
J'imagine que ça vient du même phénomène qui fait que Lloyd a de plus en plus de mal à réaliser des films : les Majors laissent de moins en moins le marché aux indépendants. Et ça se voyait déjà dans ce documentaire, en 2001.
Le commentaire qui, lors de la scène où un membre de la Troma team pisse sur un junkie qui squatte les douches de leur appart, dit que c'est la façon dont Hollywood traite les indépendants n'est pas si ironique que ça, finalement.
Ce qui est ironique, c'est que, tandis que les membres de Troma doivent se débrouiller pour pas trop être dans la merde durant le festival qui leur est assez coûteux, une représentante de Warner bros a un badge à 300$ pour son chien.
Ce qui est ironique aussi, en fin de film, et qui prouve que finalement ce film est quand même relativement bien pensé dans son montage, c'est que l'on voit les bureaux de Troma récupérés en 2002 par Warner bros. Encore plus ironique : dans ces bureaux attribués aux employés de Warner qui ont fréquemment été désagréables avec Lloyd Kaufman, on peut voir une affiche de Scooby-Doo, film scénarisé par James Gunn, cinéaste qui a fait ses débuts chez... Troma.
Je continue quand même de rêver pouvoir un jour voir un film de Troma à Cannes...
EDIT 14/11/2016 : je retombe sur cette critique, et je suis surpris de ne pas l'avoir mise à jour plus tôt. J'ai finalement vu Lloyd Kaufman et sa clique à Cannes il y a 3 ans, j'ai interviewé Lloyd, vu leur dernier film en salle, et fait de la figuration pour le suivant.


Quelques pensées qui me sont passé par la tête, durant le visionnage :
-Nom d'un chien, ce film date d'il y a 10 ans, et à l'époque déjà il y avait des affiches teasers pour Toxic 5 ! Le tournage a débuté l'an dernier seulement, et là on n'a aucune nouvelle.
-Où est-ce que je peux avoir un sac Troma ?
-Mais... c'est bel et bien une "actrice" de The bare wench project 2 qui fait la Tromette !
-Je savais déjà que Jean-François Rauger était un badass pour sa programmation de films bis à la Cinémathèque, mais en plus il est remercié au générique de ce documentaire... La prochaine fois que je le vois, genre à L'étrange festival, je lui demande pourquoi il ne fait pas de programmation de Troma, et pourquoi son nom apparaît dans "All the love you Cannes".
-Je voulais retrouver ces vidéos tournées par E! entertainment et Canal+, mais je ne trouve rien d'autre sur le site de l'INA que des vidéos de pubs pour la collection DVD qui était sortie par Sony pictures (ce qui m'a appris qu'ils étaient en collaboration avec 13ème rue) :
http://www.ina.fr/recherche/recherche?search=troma&vue=Video
On voit aussi dans le film un bout d'une interview à la radio complètement improbable où se rencontrent Chabrol, Edouard Baer et Lloyd Kaufman, mais ça dure très peu longtemps, et le monteur, qui ne parle sûrement pas français, a juste coupé un bout en rajoutant des sous-titres sans aucun rapport avec ce qui se dit, qui ont pour seul but d'être comiques.
EDIT : Trouvé ce lien : http://archives.troma.com/cannes/2000/canalplusfest.html
Où est-ce qu'on peut voir ces vidéos, sacré nom d'une pipe ?!


EDIT : La BO est cool aussi, dommage que je n'aie trouvé aucun des titres sur internet.

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le 4 mai 2012

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