Chère Payal Kapadia,

Un après-midi, nous étions en pleine canicule dans le Sud-Ouest de la France. Le soleil frappait fort sur la petite maison rouge de campagne de mes parents. Je me suis donc réfugié dans la fraîcheur de ma chambre. J’y ai pris mon ordinateur, que j’ai posé sur mon lit, et j’ai lancé un film. Ce film, c’était All We Imagine as Light. Dedans, vous avez envoyé un message. Peut-être même une lettre. Vous en avez filmé une, ainsi, j’ai envie de vous répondre.


Je tiens à vous témoigner de mon affection pour All We Imagine as Light. Premièrement, son titre. La polysémie de light est très intéressante. Si on prend la citation directe du film, il est évident que vous signifiez « lumière », mais la lecture du titre seule peut laisser entendre « léger ». Et c’est cet équilibre, cette armature de fil qui m’a plu dans votre long métrage. Ces plans longs et intimistes remplis d’un silence bavard, les images plus éloquentes que les mots. Ces pensées et dialogues tenus à voix basse entre vos personnages, en voix-off, qui agrémentent lesdites images de temps à autre, en jouant sur la poésie, les non-dits, les aveux. Autant vous dire que j’ai été happé dès la séquence d’introduction, les écritures rouges venant apposer leur sceau sur vos images.


Sans proposer des milliers de vers, de rimes ou encore d’effets spéciaux à grands coups de licornes et d’arbres à bonbons, vous nous avez offert une poésie de l’oral et du regard. Le médecin écrit à Prabha bien des louanges, mais vous embrassez plus encore votre univers. Mumbai, vous y avez vécu, et comme vous le montrez, c’est l’envers et l’enfer de la forêt. Les arbres sont d’acier et les collines de béton, mais on ressent combien vous y êtes attachée. C’est personnel, tangible, palpable même, pour vous comme le spectateur. Comme il est résonnant pour moi de faire face à ce mélange des langues. L’anglais qui se glisse dans des dialectes indiens, eux-mêmes tentant de comprendre l’hindi… Ayant tout juste bouclé ma troisième année d’études d’anglais, j’ai trouvé le tout saisissant et profondément doux, cette cohabitation et cette volonté de partager.


J’ai pu m’imprégner des couleurs. Le rouge sanglant du titre vient s’opposer aux bleus calmes et froids de nos deux nurses dans cet hôpital bondé. Le gris de la rame de métro se heurte à l’orange, au vert, au jaune de certaines tenues traditionnelles. La nuit, si sombre, vient sublimer de jeunes joueurs de foot sous la pluie et les lampadaires, ou épouser les silhouettes de Prabha et du médecin lorsque celui-ci lui demande si elle désire qu’il reste. Tandis qu’elle se demande si elle désire. Si elle a désiré. Si elle est désirée. Et c’est surtout ça que j’ai aimé dans votre film. Prabha et Anu sont deux femmes fortes, mais pas parce qu’elles brandissent des armes ou parce qu’elles crient fort. Elles le sont parce qu’elles se forgent à deux. Parce que Prabha apprend à dire pardon et à se défaire du passé. Parce qu’Anu valorise la vie et les joies quotidiennes. Parce que les deux se battent pour l’amour : l’une, pour Shiaz, son amant, un jeune homme musulman, un interdit de sa famille ; l’autre, pour celui qu’elle éprouve pour ses amies, comme Parvaty la démunie et Anu la jeune adulte découvrant la vie. Anu est Prabha qui est Parvaty qui est ce que chaque femme et chaque humain est. Une personne pleine de peurs, de ressentis, de colère, de volonté de justice, mais aussi de rêves, d’ambitions, d’amour et de talent. Le talent de sauver une vie. Et Prabha, ne serait-ce qu’au village de Parvaty, en a sauvé plus d’une.


Merci. J’avais besoin de ce message, et vous m’avez donné envie de découvrir le cinéma indien.

Dorhius
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 24 sept. 2025

Critique lue 3 fois

Dorhius

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur All We Imagine As Light

All We Imagine As Light
cadreum
8

Une grâce d’outre-monde

Certains films se laissent enfermer dans des cases commodes, classés sous l’étiquette de ce "cinéma du monde" où l’exotisme documentaire se superpose à l’intime. Mais All We Imagine as Light, premier...

le 13 mars 2025

13 j'aime

All We Imagine As Light
Plume231
7

Trois femmes travaillant dans un même hôpital !

Ce premier long-métrage de fiction de la réalisatrice indienne, Payal Kapadia, nous introduit dans la vie de trois personnages féminins, travaillant dans un hôpital à Bombay, deux (qui sont aussi...

le 3 oct. 2024

12 j'aime

All We Imagine As Light
Cinephile-doux
7

Des femmes dans la ville

All we imagine as Light ne fait pas partie de ces films qui font l'unanimité, dans un sens positif ou pas, d'ailleurs, et sa réception par chaque spectateur dépend aussi largement de son humeur du...

le 30 juin 2024

10 j'aime

Du même critique

Peaches
Dorhius
8

Peaches, Peaches, Peaches, Peaches, Peaches

Peaches, c'est un morceau d'environ 2 minutes de Jack Black. Entêtant, dynamique, et surtout, excellent ressort comique dans le film Mario de 2023, Peaches est indubitablement une réussite...

le 30 avr. 2023

2 j'aime

Bonne conduite
Dorhius
5

Bonne Conduite, attention à la ligne blanche

Bonne Conduite est un film se voulant avant tout une forme de divertissement sympathique, pas prétentieuse, très bien mise en scène. La photo est souvent belle, les plans sont envieux pour un film...

le 3 avr. 2023

2 j'aime

Les Fleurs du mal
Dorhius
3

Les Fleurs flétries

J'aime la poésie. J'aime le français. J'aime la littérature. Pourtant, ce recueil ne m'a point touché, bien loin de ça. J'aime lire en général, j'aime également écrire. Je ne prétends pas avoir le...

le 14 janv. 2023

2 j'aime