Dans l'émission de Laurent Ruquier "On est pas couché", JoeyStarr traitait Fabrice Du Welz d'abruti. Une tension qui ne s'était nullement atténuée depuis la brouille opposant les deux hommes en 2012 sur le plateau de Colt 45, polar grossier produit par Thomas Langmann et achevé dans la douleur par Frederic Forestier. Du Welz répondait qu'il avait très certainement sa part de responsabilité dans l'échec du projet mais que diriger un acteur qui oubliait régulièrement son texte (Gérard Lanvin) et un autre constamment sous substance illicite (Joeystarr) avait de quoi l'énerver. Sans prendre le parti de l'un ou de l'autre et lorsque l'on connait le coup de patte de l'artiste Belge, on se demande comment son style allait se fondre dans le moule de la production française friquée. Après tout, le réalisateur de Calvaire ne serait pas le premier à jouer les contrebandiers afin de satisfaire ses envies de production démesurée. À Hollywood, on connait ça sur le bout des doigts avec tous ces réalisateurs européens maigrichons bouffés par les rouages de la machine à sous. D'ailleurs, Message from the King, production franco-belge tournée sur le sol ricain avec Chadwick Boseman démontrait à nouveau et trois ans plus tard le déracinement créatif de l'auteur. Non pas que ce dernier film soit mauvais mais "la sève Ardennaise" a bien du mal à s'exprimer en dehors de son périmètre régional.


Quel cinéphile français n'a pas fantasmé une nationalité autre que Belge à l'attention de Fabrice Du Welz ? Quel cinéphile français n'a pas désiré au fond de lui se réapproprier sa filmographie en la taxant d'oeuvre tricolore ? Ce mensonge tient à cette formidable proximité que l'oeuvre de l'artiste entretient avec son public. Un cinéma loin de la mondialisation industrielle entamée par le Septième Art envers le tout numérique. Un Cinéma organique digéré de toutes ses influences. Un Cinéma en osmose avec les corps en souffrance. Un Cinéma à même la flore et qui ose montrer l'envers du décors. Bref, un Cinéma de l'humain.


Synopsis Wikipédia


Déçue par son mariage et manipulée par un mari jaloux, Gloria (Lola Dueñias) se sauve avec sa fille et tente de refaire sa vie. Sur les conseils d'une amie, elle accepte de rencontrer un homme, contacté par petite annonce. Michel (Laurent Lucas) est un quadragénaire et petit escroc qui dépouille les veuves de leurs économies. Tombés follement amoureux l'un de l'autre, ils vont s'enfoncer dans une passion destructrice et meurtrière.


Alléluia n'ira donc pas dans l'auge du consommateur prêt à avaler sa ration d'images numériquement étalonnées plus que de raison mais bien dans l'assiette de celui pour qui l'aspect créatif et l'expérience du visionnage a encore une importance. La démarche du réalisateur n'a rien de prétentieuse. Elle a juste pour ambition de s'abreuver à la source et dans son plus simple appareil. Shooté en Super 16 par un Manu Dacosse "caméléon", le gros grain crapotte la pellicule conférant au tout un aspect brut de décoffrage. À la manière de Massacre à la Tronçonneuse de Hooper ou plus récemment de The Devil's Rejects de Zombie, Alléluia marche dans les traces de l'expérience viscérale réfléchie à partir de sa forme. Granuleuse, la texture de l'image redonne son pouvoir sauvage à la forêt, détrempe les sols et les granges, glace les eaux et allonge les flammes. Les cinq sens du spectateur conviés au relief de chaque plan et sans le moindre apport d'une technologie récente.


Taillé dans l'ellipse, le métrage casse volontairement sa forme de road movie simpliste en une succession de chapitres qui mèneront le couple à un point de non retour. Du Welz filme au plus près des corps pour emprisonner la moindre émotion et ne s'autorise qu'à ouvrir le champ qu'à de rares occasions si ce n'est pour illustrer par quelques décors les classes sociales des victimes. Un choix qui relie par un fil invisible les corps des deux tueurs et qui trouve son apogée lors d'un brasier géant. Une union dans la chaleur qui tranche radicalement avec la sensation constante de traverser un froid pénétrant.


Dans sa fonction de geste artistique et singulier Alléluia n'hésite pas à transgresser certaines règles établies par le genre voyant l'homme brutal ou la femme séductrice et calculatrice. Le réalisateur s'emploie à gommer ces poncifs en attribuant à Laurent Lucas le rôle d'un sorcier manipulateur au charme sans faille et à Lola Dueñias celui d'une femme redoutable sur le plan physique. Une complémentarité qui redistribue les cartes du fonctionnement comportemental permettant ainsi au spectateur de terminer sa course dans un climax de figures inversées.


Lorsque le générique de fin apparait, le couple entre dans un cinéma inondé d'une lueur rouge sang. Fabrice Du Welz délivre le geste d'un artiste libre et sans contrainte. Un homme entièrement consumé par sa passion et une définition parfaite de sa trilogie sur Les Ardennes.

Star-Lord09
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le 16 nov. 2020

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