J'ai découvert le cinéma de Lanthimos avec Canine, puis avec The Lobster. J'avais trouvé l'un comme l'autre très bons : deux satyres froides et cyniques avec une véritable vision d'auteur, et une direction d'acteurs au service d'un propos de fond cohérent.


Puis j'ai visionné Alps, le long métrage que Lanthimos a réalisé entre Canine et The Lobster.


Mais cruellement, la sauce n'a pas pris.


Alps raconte l'histoire d'un petit groupe de quatre membres qui prennent la place de personnes décédées afin de faciliter le deuil des proches, contre paiement. Nous suivons principalement Mont Rose (les protagonistes ont tous des noms de sommets alpins) qui va prendre la place d'une jeune tenniswoman tragiquement disparue dans un accident de voiture. Elle vit partiellement avec les parents de cette dernière, revêtant ses habits, se comportant comme elle jusqu'à apprendre par coeur des phrases qu'elle a prononcées. Cette relation spéciale avec le couple parental va avoir des conséquences dans son propre entourage.


Comme dans Canine avant lui et The Lobster après, le film est très froid, très peu accueillant : musique très rare, acteurs volontairement monolithiques... cette réserve avait très bien marché pour les deux films que j'ai déjà cités, mais ici elle se révèle plus un artifice et dessert véritablement le propos.


Canine mettait en scène trois enfants séquestrés chez eux, n'ayant jamais vu l'extérieur de la maison et du jardin familial. Dans ces conditions, leur inaptitude manifeste à communiquer normalement, leur absence totale de réaction normale, étaient justifiées. De même, The Lobster raconte l'histoire d'un homme ayant quelques semaines pour trouver une compagne dans une société où le célibat est un délit, dont le frère a été transformé en chien et qui risque à son tour d'être mué en homard. Là aussi, sa froideur et le côté désabusé, désenchanté, ce manque d'optimisme, trouvent un sens et une raison dans le scénario.


Mais dans Alps, le contraste est beaucoup trop fort. Ces personnages ont leurs petites vies, leurs métiers, leurs familles, leurs passions... Ils ont juste trouvé un moyen pas très éthique de se faire un peu de blé. Ce qui justifie mal un tel détachement, une telle déconnexion. Les personnages ont tous, même les secondaires, l'air d'être atteint d'un syndrome d'Asperger. Ce n'est pas une moquerie, c'est réellement le cas. Il y a un total de vingt secondes de sourire à l'écran. Le reste du temps, les visages sont fermés, les bras ballants, pas de gestes, des conversations absurdes, qui ici ne jouissent d'aucune cause, aucun raison. Et ça passe assez mal.


Et en conséquence, les choix qui passent pour des qualités de mise en scène dans les autres films de Lanthimos (absence de musique, de générique, acteurs comme des piquets...) passent ici pour des défauts. Le film se retrouve à être froid sans réelle raison. Au final, le constat est pour le moins particulier : les qualités de Canine sont les défauts de Alps.


Alps est une satyre grinçante sur la famille et le deuil, mais cette satyre familiale est bien plus aboutie dans Canine. Et au final, je trouve que Alps n'a pas grand chose à apporter après Canine, qui était plus original, plus profond. Les thèmes ont été abordés dans les autres films de Lanthimos, et l'ont bien mieux été.


C'est dommage. Je pense réellement que ce film a été réalisé avec les meilleures intentions du monde, que la mise en scène telle que Lanthimos l'a pensée fait sens pour lui, mais elle passe malheureusement à côté de l'effet voulu et n'atteint pas des sommets (le traditionnel jeu de mot naze de la fin).

QuentinYuanMalt
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le 13 avr. 2017

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Yuan Cloudheart

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