Claus Drexel fait presque un show de la réalité documentaire, mais dans un tout autre genre que Michael Moore. Notamment parce qu’il prend le parti de choisir une région, une ville d’investigation aux États-Unis : Seligman, Arizona. Terre aride ponctuée de carcasses rouillées à l’abandon, la région déchue arbore des bâtiments vides et mobil-homes décrépis. Très visuel. Ses habitants en sont le terrible miroir social : qu’ils soient pro-Trump (en majorité) ou opposants, ils incarnent tous le concept de déclassement, cristallisé par une pauvreté socio-économique mais aussi parfois intellectuelle. Dans « America », Drexel montre de manière terrifiante à quel point la politique - surtout celle des armes - a largement investi sur « une culture de la pauvreté » dans le but de l’instrumentaliser. Dans la lignée de Melville, il met en lumière les conséquences sociales non seulement d’une sorte de fixisme politique (le conservatisme sous toutes ses formes, prêché dans ses vertus par l’église elle-même qui diabolise les démocrates), mais aussi d’une problématique strictement terrienne justifiant évidement sa propre existence par les armes. Parfois personnalisées par un petit nom fort sympathique, comme si elles étaient des individus à part entière. Ce qui est intéressant, c’est aussi cette part de réflexivité qu’il offre aux personnes qu’il interroge, puisqu’il n’intervient que très peu, parfois pas du tout. La méthode n’est pas sans rappeler, pour les inconditionnels, les documentaires « Strip-tease ». Même si les rares questions sont orientées pour dévoiler autre chose, elles n’existent que pour délivrer une parole spontanée et ça marche.
Enfin, rendre justice à « America », c’est aussi ne pas ignorer son aspect formel. Le film est terriblement photographique, en prenant souvent des allures d’album photo. Claus Drexel fait une sorte de trou normand entre chaque interview, en affichant des images de Seligman en plans fixes. Ce n’est pas sans rappeler la filmographie des westerns, même s’il ne fait pas le coup de la botte d’herbes desséchées qui virevoltent parmi les mobil-homes. Mais surtout, cela évoque le vernaculaire des clichés de Stephen Shore.