American way of road for Money and Happiness...

AMERICAN HONEY (Andrea Arnold, USA/GB, 2017, 163min) :


Ce voyage immersif exaltant nous entraîne sur les pas de Star, une jeune adolescente qui choisit subitement de quitter sa famille dysfonctionnelle, à la suite d’une rencontre avec Jake un vendeur d’abonnements de magazines qui traverse l’Amérique pour faire du porte à porte à bord d’un mini bus. Découverte il y a plus de dix ans à Cannes par le biais du long métrage Red Road, inspiré du Dogme 95 dont elle repart avec le Prix du Jury, la réalisatrice Andrea Arnold ne cesse de séduire par son style réaliste. En 2009 le dérangeant et émouvant Fish Tank obtient également le Prix du Jury cannois, et son adaptation très personnelle et sensorielle Les Hauts de Hurlevent (2011) finisse de convaincre du talent de cette cinéaste. De retour en compétition officielle en 2016 à Cannes avec le projet American Honey, elle gagne le Prix du Jury pour la troisième fois. Une distinction symbolique souvent enclin à récompenser de films singuliers divisant généralement le public. Cet American Honey fait partie prégnante de cette catégorie, il s’impose à l’esprit pour peu que l’on veuille se laisser embarquer. D’emblée nous découvrons une mise en scène utilisant le format 4/3 de façon judicieuse pour cloisonner l’intrigue et ses protagonistes qui n’ont qu’un horizon limité. La réalisatrice opte également, comme elle aime le faire pour la caméra portée, et nous plonge d’entrée dans l’Amérique white trash, avec une jeune adolescente cherchant de la nourriture au fond d’une benne à ordure pour nourrir les enfants de sa sœur. La caméra au plus près de Star ne va pas la lâcher et par le biais d’une formidable scène où le béguin s’invite instantanément dans un supermarché, la réalisatrice va nous conter de façon quasi documentaire cette jeunesse indéterminée qui tente de survivre sans repères sous l’ère d’Obama. Andrea Arnold immerge le spectateur dans cette fuite en avant, amorce d’une nouvelle vie, sans trop appuyer le cadre social et politique pour nous convier essentiellement à découvrir cette bande. Une troupe avec des rites essayant de gagner sa vie en vendant, comme ils peuvent, des abonnements à des particuliers le jour et tente d’échapper à une terne réalité économique et amoureuse en profitant avec excès aux multiples drogues, fêtes en tous genres le soir sur les parkings de motels miteux, flirt amoureux, exhibitions où en chantant avec entrain du trap (courant du rap venant du Sud référence aux lieux de trafics de drogues) lors des longues traversées en van des états américains pour se sentir encore en vie. Une illusion de liberté : « J’ai l’impression de baiser l’Amérique » s’époumone l’héroïne après avoir réussi à extirper une liasse de billets à trois vieux beaux riches lors d’une dangereuse expédition. La cinéaste filme les diverses pérégrinations et toute l’organisation hiérarchique comme une meute où le loup est partout, avec ses propres codes et à sa tête Krystal, une femme autoritaire, possessive qui dicte les règles et s’offre les faveurs de Jake, cowboy des temps modernes au bagout enjôleur. Cette chronique de la jeunesse ouvre également les élans du cœur de Star pour Jake et de manière très sensuelle, la mise en image va faire vibrer cet amour aux multiples soubresauts. Une attraction des astres initiatique pour ses deux jeunes sans repère parentaux qui vont apprendre chaotiquement les jeux de l’amour et ses montagnes russes tout en apprenant à devenir adulte. Des errements, des tâtonnements, des étreintes capturées sensuellement par une image au sens du cadre viscéral à fleur de peaux, où les pouls et les corps fusionnent pour des scènes de sexe d’une rare véracité émotionnelle. Habituellement peu représenté ainsi, cette jeunesse complètement livrée à elle-même permet de dresser un portrait des diverses couches américaine. Des états dans divers états, des riches américains propriétaires patriotiques, des middle class ayant fait fortune grâce au pétrole, des familles hantées par le poids de la religion aux laissez pour compte, la cinéaste ausculte l’âme de l’Amérique rurale et ses inégalités face la Money avec mélancolie, mais sans jamais être donneuse de leçon. Pour ne pas surcharger et plomber son film, la réalisatrice se permet des envolées et des trouées naturalistes. Par le biais d’une photographie magnifique, par des plans absolument structurés, où la faune et la flore viennent offrir des moments de poésies et d’irréalités accompagnant la bienveillance de Star, qui tel un insecte tente de déployer ses ailes sans se les brûler sur des néons illusoires. Cette mise en scène sensorielle pertinente joue avec les éléments (l’eau, la terre, le feu et l’air) pour augmenter les vibrations et le tourment des âmes en les élevant au lieu de les rabaisser. Car Andrea Arnold cherche constamment la beauté partout, de manière brute et sans maniérisme ni aucune teinte plate, comme une peintre pointilliste. Un enthousiasmant portrait brut de cette jeunesse anti-utopique, ne sachant pas répondre à la question : « C’est quoi ton rêve ? » car leur quotidien ne leur a jamais donné l’occasion de se poser cette simple interrogation. Une œuvre singulière porté par une bande son absolument galvanisante rendant grâce à l’énergie et l’exaltation de vivre en groupe, à coup de beats et de sons allant de vieux morceaux country, électro et majoritairement de hip hop aux paroles explicitement lyriques urbaines. Le casting absolument épatant apporte une véracité au récit assez sidérante. Il permet également, outre la confirmation du talent schizophrénique de Shia Lebœuf, étonnant de naturel dans cette virée de nous proposer l’immense révélation de Sasha Lane, véritable étoile de l’histoire qui comme une chrysalide mue littéralement sous nos yeux charmés par cette découverte qui transcende le long métrage du début jusqu’à l’admirable scène finale. Venez tailler la route avec ce groupe vivant sous la bannière à la recherche d’étoiles dans cet American Honey. Tripal, cathartique, chamanique et envoûtant.

seb2046
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le 10 janv. 2017

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