Voir le film

Est-ce un accident ? Est-ce un meurtre ? Un suicide peut-être ? Que s’est-il passé ce jour-là, ce jour où Samuel a été retrouvé mort au pied du chalet familial, une plaie béante à la tête, et son sang écoulé sur la neige ? Une enquête est ouverte, d’abord pour mort suspecte. Sandra, sa femme, romancière à succès, finie par être inculpée. Accusée de meurtre donc, qu’elle nie. Alors que s’est-il passé ce jour-là ? Mais, avant tout, et c’est ce que le film de Justine Triet va patiemment, et intelligemment, décortiquer, qu’est-ce qui a fait que ce jour soit arrivé ? Par quels chemins et par quels détours, au sein d’une relation amoureuse dont les pleins et les creux vont, sans pitié, être exposés, analysés et démantibulés lors d’un procès captivant, a fait que ce jour soit arrivé ?

Car davantage que l’anatomie d’une chute, ou celle d’un possible crime, c’est évidemment à celle de leur couple (et sa faillite) que l’on va assister (l’avocat de Sandra lui répondra d’ailleurs, quand elle lui affirmera qu’elle n’a pas tué son mari, que "ce n’est pas la question"), et pendant laquelle les personnalités de Sandra et de Samuel vont se révéler. Leurs blessures aussi, et puis leurs désirs, et puis leurs failles. Avec une précision quasi chirurgicale, en tout cas implacable, Triet montre, démontre et démonte toute la complexité des rapports qui peuvent se jouer (et se nouer, jusqu’à l’inextricable) dans un couple : rapports intimes évidemment, et rapports qui s’établissent face aux attentes (aux clichés ?) de la société auxquelles un couple est inévitablement renvoyé (ici on parlera de charge mentale, d’émancipation féminine, d’inversion des genres, de réussite professionnelle, d’adultère et de sexualité…).

Triet, qui a coécrit le film avec son compagnon Arthur Harari, confronte les points de vue, brouille les pistes, et surtout redonne une sorte de toute-puissance à la parole (les scènes de procès se révèlent passionnantes, embarquant le spectateur dans un vertige d’interrogatoires, d’accusations et de plaidoiries). Cette parole qui va investir le tribunal par sa rigueur et son autorité (que pourrait incarner à lui seul le personnage de l’avocat général, interprété par un Antoine Reinartz magistral) autant que par sa propension à nous guider dans les méandres d’une histoire d’amour rongée, au fil des années, par les griefs, les rancœurs et une violence sourde (que révèlera, que résumera même, une dispute enregistrée par Samuel à l’insu de Sandra, moment-clé, et intense, du film).

Cette parole qui, à la fois, va déconstruire et remodeler le récit du film en même temps que les réalités sur Sandra et Samuel. Qui va, en quelque sorte, les "déshumaniser", tout ramener à une pure logique judiciaire obnubilée par les faits et leur configuration, et si peu tournée vers l’affect, vers ce que pourrait ressentir Sandra à un moment (Sandra Hüller, magnifique, et qui, après Toni Erdmann en 2016, est encore passée à côté, injustement d’ailleurs, du prix d’interprétation à Cannes), tour à tour fuyante, combative, désemparée à voir ainsi sa vie privée livrée en pâture, jugée et catégorisée (mère, épouse, amante, écrivaine). Mais de ces faits surgira, restera un point aveugle. Celui qu’expriment les témoignages fluctuants de Daniel, le fils malvoyant (le symbole est évident, trop peut-être) de Sandra et de Samuel. Ce point aveugle qu’est la vérité, a priori incontestable mais dont on ne saurait dire, à la fin, si en elle se cachent encore quelques secrets et mensonges.

Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
8
Écrit par

Créée

le 23 août 2023

Critique lue 276 fois

16 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 276 fois

16

D'autres avis sur Anatomie d'une chute

Anatomie d'une chute
B-Lyndon
5

Perdre au jeu

La première partie du film me paraît assez extraordinaire. Une balle qui tombe d'un escalier, un chien qui descend pour la ramasser. Un entretien audio entre une écrivaine et une jeune thésarde...

le 31 août 2023

106 j'aime

9

Anatomie d'une chute
lhomme-grenouille
5

Anatomie d’un pied palmé

J’ai l’impression que c’est un problème qui risque de se poser régulièrement. Chaque année, les distributions de Palme, César et autre Oscar me conduisent à aller voir des films que je ne serais...

le 24 août 2023

102 j'aime

113

Anatomie d'une chute
Cinephile-doux
6

Procès d'intentions

Depuis quelques années, le cinéma français, et plus particulièrement ses réalisatrices, trustent les lauriers dans les plus grands festivals. Au tour de Justine Triet d'être palmée à Cannes avec...

le 28 mai 2023

89 j'aime

4

Du même critique

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

171 j'aime

14

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25