Avis + théorie(s)

Spoiler guys, alors ne lisez pas ce qui suit si vous n'avez pas vu le film !

Bon...

Où commencer, comment ?
Peut-être par vous dire d'emblée à quel point le film m'a scotché... On lui reproche des problèmes de rythme, perso j'ai été baladé du début à la fin, happé par le film, tantôt révulsé par certaines scènes de violence graphique, tantôt mystifié par l'ambiance luxuriante et pesante qui oppresse autant les personnages que le spectateur. Ça en fait une expérience étrange, prenante mais dérangeante : on sait que ce n'est pas forcément bien de continuer à regarder l'écran, mais pourtant on ne peut s'empêcher de le faire.
Un jeu de manipulation qui marche à merveille.

Mais trêve de bavardage, passons à Larousse, Robert étant pris. "Annihilation" :

• Anéantissement, destruction totale.


• Réaction entre une particule et son antiparticule, au cours de laquelle elles disparaissent pour se transformer en un ensemble d'autres particules.

Tiens, tiens... La définition physique me semble pour ce film bien plus intéressante que la définition usuelle, avec laquelle j'avais pourtant interprété le titre depuis le début. Pour moi, "Annihilation" m'était vendu comme un film de Sci-Fi où l'anéantissement de l'humanité se manifestait par l'arrivée d'extraterrestres sur terre... Rien de bien imaginatif, en somme.

Or il n'en est rien.
Pas étonnant qu'on ait refusé de le sortir en salle : si le producteur s'attendait à la même chose que moi à la base, il a bien dû être déçu (alors que moi je m'en suis plutôt réjoui). En effet, exit le film débilos ou les aliens déglingos, faites place à du tord-méninges de qualité.
Et je vous le dis – mis à part quelques effets kitsch qui m'ont dérangés – le film m'a pris aux tripes, me les a retournées et a eu à peu près le même effet sur mon esprit. Annihilation est pour moi un futur film culte et rien de plus qu'un film majeur de la science-fiction de ces derniers temps.

Mvoilà, z'avez mon avis. Vous pouvez rire ou vous taire à jamais, j'en ai fini. Vous pouvez vous arrêter là, ou continuer la lecture si vous voulez en connaître mon analyse (l'une d'elles), puisque le film peut se lire à mille niveaux sans pour autant avoir de "vraie" ou de "fausses" théories.

** analyse ** analyse**** analyse ** analyse** analyse ** analyse** analyse **** analyse

C'est joli, hein, cette petite bande !?
Bon, bref... Par où commencer ?

Le premier niveau de lecture qui saute aux yeux en regardant le film, c'est bien évidemment le thème du cancer. Ventress est touchée, la fille de Sheppard est morte d'une leucémie, les formes grumeleuses des mousses/champignons qui se développent dans le miroitement ne peuvent que faire penser à des groupements de cellules tumorales, Lena le voit sous son microscope et le miroitement lui-même fait joujou avec l'ADN...
Bref, on aurait donc un phénomène qui, loin de détruire, modifie tout ce qu'il touche : dans le miroitement, pas d'annihilation justement. C'est plutôt une forêt luxuriante, des marais somptueux, une nature intacte, des bêtes à foison... Mais tout ça a quand même bien changé : l'animal se mêle au végétal, le végétal acquiert des gènes animaux... Tout change, tout évolue, et c'est ça justement qui fait peur.

Bien évidemment, ce niveau de lecture bien horizontal n'est pas satisfaisant, mais est intéressant à garder en mémoire. Il nous amène à mon interprétation personnelle, basée sur la définition du mot annihilation donnée plus haut : Réaction entre une particule et son antiparticule, au cours de laquelle elles disparaissent pour se transformer en un ensemble d'autres particules.

On assiste à l'entrée de cinq femmes dans la zone X – la zone du miroitement. Mais qui sont-elles ? Quelle sont leur autorité dans le domaine ? On sait bien qu'elles sont scientifiques, on sait bien qu'elles résident dans un bâtiment hyper-sophistiqué placé en marge du miroitement, mais on ne sait pas grand chose de plus.
Qui les envoie au casse-pipe dans la zone d'où personne ne revient ? Qui sont leurs supérieurs ? L'Etat ? L'armée ? Un groupe civil ?
Aucune réponse à ces questions.
Non, ce que l'on sait vraiment, ce sont les problèmes de ces femmes :

• Les aventures extra-conjugales qui rongent Lena


• Le cancer de Ventress


• La leucémie de la fille de Shepherd


• L'alcoolisme d'Anya


• Les envies suicidaires de Josie

La zone X s'assimilerait donc aux épreuves que devront subir ces femmes, intérieurement, pour vaincre leurs peurs et battre leurs démons. La particule (Lena, la femme aimante) et l'antiparticule (Lena et ses rencontres extraconjugales), de même pour Anya (saoule vs sobre) et pour les autres...

Soit on est incapable de faire face à ses démons, et dans ce cas c'est la mort qui nous attend... (et étrangement une mort toujours visuellement liée au problème de la femme en question : Ventress qui a un cancer meurt rongée de l'intérieur, Josie disparait dans le feuillage luxuriant comme on disparait suite à un suicide, Anya devient folle comme atteinte de delirium...).

Soit on est capable de se retourner, et de considérer ses démons : dans ce cas l'antiparticule (les travers de la personnalité) réagit avec la particule (côté sain de la personnalité), les faisant tout deux disparaitre pour se transformer un ensemble d'autres particules, bref, ce que l'on observe dans le phare avec Lena.

En ressort une femme dont on ne sait pas s'il s'agit de l'alien amorphe ou de Lena elle-même, mais une femme résolument changée et débarrassée de ses démons, prête à revoir son mari...

Bref, cette théorie me plaît. Elle n'explique de loin pas tout :
- L'insistance sur le regard de Sheppard, quand, sur la barque, Lena lui parle de son bleu qui va devenir au fil du film le tatouage en forme d'infini
- Si elle s'était vraiment débarrassée de son antiparticule, pourquoi son regard (et celui de son mari) est-il aussi vide, à la fin ?
- On voit tomber la météorite au début, suggérant une action extraterrestre réelle, alors que dans cette théorie le miroitement semble plutôt être métaphorique
- La raison des tatouages (sur Lena, sur le cadavre et sur Anya)
- L'insistance de la caméra sur les verres d'eau et leurs reflets

Voilà... Dieu que c'était long. N'hésitez pas à commenter, débattre, parler de votre hypothèse et réfuter la mienne, ce serait avec plaisir... Et d'ici là, je vais me plonger sans tarder dans le livre Annihilation de Jeff Vandermeer, pour en comprendre, peut-être, un peu plus...

(un livre, soit dit en passant, recommandé par Stephen King lui-même)