L'insoutenable instabilité de l'être (et de toute chose)

Annihilation est un grand film qui a pour premier mérite d’appartenir à un genre beaucoup trop rare : l’horreur existentielle. Comme chez Cronenberg ou Possession de Zulawski, on aura notre dose de bestioles cauchemardesques mais l’horreur véritable ne réside pas là. Même si un petit parfum de Lovecraft traverse également le film, l’horreur n’est pas non plus dans les ténèbres de l'Area X, où règne l’inconnu et l’indicible et vers lesquelles s’enfoncent inéluctablement les personnages.


Non la vraie horreur réside ici dans la condition humaine (et plus généralement celle de toute vie) et l’impossibilité de la définir, car en mutation perpétuelle. L’idéal d’équilibre est une aberration, ce ne sont pas seulement les corps qui se réorganisent au niveau cellulaire et vieillissent à chaque instant mais également les psychés, les émotions et sentiments qui les animent. Comment rester maître de soi et de sa propre identité dans ces conditions, quand tout ce qui nous définit est susceptible de voler en éclat en un battement d’aile ? Voilà les questions passionnantes auxquelles nous confronte Alex Garland dans ce film complétement fou. Son background de romancier lui permet comme à son habitude de conserver dans son écriture le parfait équilibre entre subtilité et intelligibilité tout en proposant une mise en scène ultra inspirée. On passe ici au niveau supérieur par rapport à Ex-Machina en terme d’ambition et sa prestation n’a plus grand-chose à envier aux grandes heures de son ancien camarade Danny Boyle, et dont la seule limite réside plutôt du côté du budget (et d’écrans de cinema malheureusement inexistants en France pour profiter du film comme il se doit).


Des marais humides baignant dans cette lumière réfractée en arc en ciel où s’entremêlent pourriture et bourgeonnement. Un squelette d’homme qui semble avoir été terrassé par une explosion végétale au fond d’une piscine abandonnée. L’imagerie développée par Annihilation dépasse l’entendement et renvoie à des audaces de direction artistique comme celles d’un Alien ou d’un the Thing à leur époque.


Outre les références citées précédemment, ce voyage aux confins à la fois de soi-même et du monde connu, permet au film de dialoguer directement avec 2001 l’Odyssée de l’Espace ou Apocalypse Now. Pour se hisser à leur niveau, il manque toutefois à Annihilation la « fièvre » qui permettrait à sa folie de s’immiscer dans tous les pores du film jusqu’à le contaminer tout entier. La faute probablement à une interprétation certes très juste mais peut-être aussi trop sage, pas suffisamment "habitée" par ses actrices principales.


Derrière cette terreur de la transformation au centre du film réside pourtant un film qui n’est en réalité pas si nihiliste que ça. Cette peur de la transformation demeure quelque chose d’assez subjectif puisqu’elle est aussi la condition de toute vie en tant que cycle, indispensable à son évolution. Il est intéressant de noter que le « body count » indissociable de tout thriller/film d’horreur survivaliste n’en est pas réellement un. Les issues concernant chaque personnage sont au final moins des véritables morts que des transitions vers d’autres formes d’existence, parfois creepy, parfois plus « poétiques » mais dont le ressenti reste plus lié à notre subjectivité personnelle plus qu’autre chose. Derrière son concept très SF, Annihilation est donc un film avec une réelle portée mystique et spirituelle. Le malaise instinctif que peut susciter son apparente noirceur est au final très questionable si on le remet en perspective et rarement le qualificatif de « fin ouverte » n’aura autant été méritée que par celle de ce film.


Et au delà de ce final, c'est tout le film qui est parcouru d'une délicieuse ambiguïté et ce à tout ses niveaux d’interprétation. Je ne contesterai pas aux détracteurs du film le fait qu'il soit incompréhensible mais tous les ingrédients me semblent présents pour une longue et riche quête de sens comme seuls peuvent en susciter les films majeurs. A la manière d'un Twin Peaks l'an passé, certains mystères risquent de hanter les amateurs de ce film pendant très longtemps.

StevenSingalls
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le 16 mars 2018

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