Dépression et rémission : réfraction et dispersion des structures

Ceci est la troisième partie de l'épisode d'Artborescience intitulé "Dépression et rémission". Cette partie évoque le film d'Alex Garland et les romans de Jeff Vandermeer.

Le texte entier est disponible sur le site : https://www.morganegrosdidier.com/2022/05/artborescience-s3-ep6-depression-et-remission/

Annihilation est d’abord un roman de Jeff Vandermeer, paru en 2014, premier tome de la trilogie du Rempart Sud. Il est aussi le titre d’une libre adaptation cinématographique de ce roman par Alex Garland. C’est au moins la troisième fois que j’en parle dans Artborescience… Le film d’Alex Garland s’inspire aussi d’un autre roman, Stalker : pique-nique au bord du chemin paru en 1972 et écrit par Arcadi et Boris Strougatski.

Dans Stalker, des entités extraterrestres provoquent, sur Terre, l’apparition de plusieurs zones qui sont le lieu de phénomènes inexplicables. Dans la trilogie du Rempart Sud, il n’y a qu’une seule zone, nommée zone X, qui s’étend. La frontière de cette zone, dans le film, prend la forme d’une membrane immatérielle irisée dont le miroitement donne son nom au phénomène qui hante ce territoire. Le film identifie clairement, dès le début, l’origine extraterrestre du phénomène.

Dans le film comme dans le roman, une nouvelle expédition est envoyée dans la zone X. Après de très nombreuses expéditions infructueuses, la dernière en particulier n’ayant été composée que d’hommes mâles, l’organisation gouvernementale en charge de la question décide d’envoyer une expédition composée uniquement de femmes. L’une d’entre elles est une biologiste surnommée Oiseau Fantôme, jouée par Natalie Portman, dont le mari était membre de l’expédition précédente. D’emblée, le film présente une situation psychologiquement compliquée pour la biologiste, prise entre deuil et culpabilité.

L’expédition arrive dans une nature luxuriante et sauvage. Dans le film, des irisations omniprésentes baignent une végétation bigarrée. Les exploratrices rencontrent des fleurs mutantes, un crocodile à dents de requin, un cerf aux bois fleuris et son doppelgänger… De l’étrange et du magnifique, on finira par passer à ce qu’il y a de plus hideux et terrifiant. Ce qui est troublant, c’est à quel point la frontière entre la beauté et l’horreur est elle-même incertaine, fluide et miroitante.

Les protagonistes du film traînent chacune leurs lots de problèmes. Les étrangetés du miroitement peuvent être interprétées comme la manifestation extérieure de la dépression de la biologiste en particulier : la nature sauvage manifeste, bien plus que les personnages, les symptômes de la dépression. Les êtres vivants mutent et s’hybrident sans cesse, sans pouvoir conserver leurs identités. Leurs structures sont aussi instables que les formes vides sur lesquelles règne le démon Choronzon. Les scientifiques de l’expédition évoquent un phénomène de réfraction de l’ADN : il n’y a pas que la lumière qui est partout mystérieusement réfractée sur ce territoire. TOUT est réfracté et TOUT contamine tout le reste. Cela offre dans un premier temps un spectacle magnifique, surtout quand il s’agit des fleurs qui, sur une même tige, arborent des formes variées. Mais le phénomène ne se cantonne pas aux plantes. Il vire rapidement à l’horreur totale.

Dans le film, plusieurs personnages sont atteints du cancer. Le cancer apparaît notamment suite à l’exposition au miroitement. Dans les romans, c’est la zone X qui s’étend comme un cancer qui propage ses métastases. Or, une dépression sévère est comme un cancer psychique : une multiplication incontrôlable de pensées infernales qui menace de contaminer toutes les strates de l’esprit de la personne. Le cancer, c’est la multiplication du même qui produit des boursouflures informes, destructurées et destructurantes. Cependant, la zone X ne produit pas que de la destruction : elle semble produire du nouveau.

Dans les romans, plusieurs personnages se situent sur le fil du rasoir du trouble psychique. Mais, comme dans le film, c’est plutôt la nature, au sein d’une zone X en expansion, qui présente tous les symptômes de la dépression. Cette nature entraîne avec elle le misérable monde artificiel de l’être humain.

Le dernier tome de la trilogie du Rempart Sud s’intitule Acceptation. L’Acceptation est un élément indispensable à la rémission de la dépression : nous y reviendrons. L’idée d’acceptation est aussi présente dans le film, sous des formes bien différentes de celles du roman.

Pour aller plus loin sur le film, je partage le lien d'une vidéo du youtubeur Le Fossoyeur de Films au sujet d'Annihilation. Elle n’évoque pas la dépression proprement dite, mais ses interprétations données peuvent toutefois aller dans le sens de ce thème : https://www.youtube.com/watch?v=c-dCPm47lVA

Metamonita
8
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le 29 mai 2022

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