Très belle évocation d'une solitude, celle d'une jeune femme britannique au contact d'une culture nord-africaine — l'histoire de Rose Graham ne sera jamais circonscrite à un cadre précis, géographique ou temporel, de telle sorte que le sentiment d'errance de la protagoniste dans un pays indéterminé et à une époque indéterminée participe activement à l'ambiance vaporeuse générale et traverse très naturellement l'écran. Another Sky se présente sous la forme de réminiscences partagées à la faveur d'un flashback, dans une tradition romantique caractéristique du cinéma des années 1950, Rose déroulant peu à peu les raisons qui l'ont poussée à émigrer et les conditions qui l'ont conduite à se retrouver dans cette situation. Le premier plan, qui est en réalité structuré en écho avec le tout dernier, ne sera compréhensible qu'à la toute fin, après un long parcours épousant la trajectoire d'une mélancolie amoureuse sinueuse.


Il faut dire, je le concède, que Victoria Grayson (quasiment inconnue) a réussi à composer un personnage très attachant et charmant au travers de cette Anglaise prude de nature, rapidement intimidée par les coutumes locales dans les environs de la maison qui l'emploie comme gouvernante — vestige des protectorats dont la fin fut annoncée en 1956, peu de temps après la sortie du film. C'est en ce sens un film dont le parfum est manifestement désuet, avec cette voix off — tout à fait justifiée et bien intégrée ici — racontant de manière particulièrement mélancolique le contenu d'un drame sentimental et ces dialogues / interprétations pas toujours très adroits, mais dont la désuétude constitue un charme puissant. Ou un puissant repoussoir, bien sûr... La faiblesse du budget qu'on peut deviner n'empêche en rien Gavin Lambert (dont ce sera l'unique réalisation) de déployer une mise en scène très à propos en direction d'une rêverie évocatrice.


Plutôt que de rester dans les environs occidentalisés de son lieu de travail, Rose préfère aller se perdre dans les ruelles de Marrakech, ce qui donne l'occasion de rencontrer de nombreux artistes, musiciens, danseurs et charmeurs de serpents. De ce point de vue-là le film semble 20 ans en avance sur son temps, avec une approche très particulière de la découverte de l'étranger. La chaleur de la région et le côté mystérieux de nombreux aspects de la culture locale ont tôt fait d'alimenter une ambiance très originale et très étonnante pour l'époque, avec une sorte de récit d'apprentissage basé sur un éveil à la sexualité. Après une rencontre marquante et une disparition soudaine, le récit s'embarque dans une quête presque surréaliste dans son dernier tiers, à travers un désert et sa traversée dont la portée symbolique est incroyable. On sort du film comme la jeune femme de ses souvenirs, au bord de la folie romantique (elle se déclare comme morte, symboliquement), comme d'un rêve étrange qui nous enveloppe de son voile envoûtant. Ce portrait d'un éveil sentimental autant que sexuel croisé avec celui du Maroc des années 50 est fascinant.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Another-Sky-de-Gavin-Lambert-1954

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un réalisateur(rice), un (seul) film, Mon cinéma britannique, Top films 1954, Pépites méconnues - Films et Mes romances

Créée

le 5 juin 2023

Critique lue 17 fois

3 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 17 fois

3

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11