Voici une analyse que j'ai fait dans le cadre d'un cours de théorie du cinéma, contient de nombreux spoil, à lire de préférence après avoir écouté le film.


      Lars Von Trier jette la controverse avec son film Antichrist. Lors de sa sortie en 2009 nombre de critiques s'offusquaient de la violence crue montrée à l'écran. Mutilation et sexe se côtoient d'une manière assez dérangeante pour le spectateur. Comment le film en arrive-t-il à nous troubler et nous déranger autant ? Le réalisateur sur de magnifiques images nous montre néanmoins son art dans toute sa splendeur. Les propos brumeux porté par le film nous sont présentés par des images d'une beauté sans pareil nous rappelant Andreï Tarkovski ( film qui lui est dédié soit dit en passant) avec de très longs plans très picturaux. Nous nous questionnerons alors dans cette analyse à voir comment Antichrist dégoute le spectateur afin de lui développer certaines idéologies. D'abord, nous verrons par quels moyens Lars von Trier nous amène progressivement vers la peur et l’inconfort total face aux images. Ensuite, nous verrons qu'une multitude de lectures du film dû à sa richesse de propos sont possibles. Cela permettant à chaque spectateur d'appréhender le film d'une manière différente. Puis nous discuterons l'aspect métaleptique implicite déployé dans les dernières parties du film.

Le film débute sur un couple en plein acte sexuel. Dès lors, Lars von Trier veut choquer avec un rapport très cru (dans les images) avec le sexe, chose jamais montrée normalement au cinéma. Et c'est pendant cet acte que l'intrigue se lancera, sur la mort de Nic, fils du couple interprété par Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg ( lui et elle : le film ne nous donne pas leurs noms). Après cet évènement, le film ne va cesser de nous montrer une succession d'informations qui convergeront toutes progressivement vers la situation de fin du film. Tout d'abord, on apprend que Willem Dafoe est thérapeute et qu'il va entreprendre une thérapie pour ça femme. Fait qui nous amène par la suite de ses efforts, à la forêt, à la thèse de sa femme. Ensuite, on voit qu'elle se tient responsable de la mort de son fils. Elle savait que son fils commençait à se lever la nuit. Ceci fera écho à la scène finale où l'on apprend qu'elle a vu son fils sauter. Un zoom lent avec un son lourd sur une plante dans la chambre d’hôpital nous prédispose à voir arriver la forêt qui sera représentée par de longs plans lourds avec des effets de déformations. On l'entend dire dès le début « Je veux mourir aussi » et lui qui lui répond « Je ne te laisserai pas faire » pour qu'il lui dise ensuite « non, ça va changer », cela nous indique précisément la finalité du récit. Il va finalement la tuer, et elle va finalement mourir aussi. Le spectateur par ces exemples est comme préparé et conditionné à ce qui arrive par la suite. Il rentre progressivement dans la forêt et avec cette idée il rentre dans l'angoisse de Charlotte Gainsbourg. Le terrier de renard est également présenté à plusieurs reprises (prise de vu de l'intérieur du terrier, référence dans les dialogues) pour préparé l'arriver de Willem Dafoe dans ce terrier. Chaque information converge vers la fin du film.
Willem Dafoe par la thérapie qu'il entreprend essaie d'établir la liste des peurs de sa femme. Indirectement le spectateur prend également la question « De quoi as tu peur ? ». Elle ne sait pas, par ce biais, le film essaie de guider la peur du spectateur pour l'amener vers la peur du personnage. Le spectateur répond à la question mentalement par ce qui lui fait peur ; le film efface cette réponse en y répondant d'abord par un « je ne sais pas ». Puis au fur et à mesure du film, il va changer sa liste, le spectateur comprend alors que le « je ne sais pas » -qui est une réponse acceptable pour l'ensemble des personnes étant donné que la peur est personnelle, elle est donc indéfinissable sur un ensemble- devient directement « la forêt » puis « Satan » pour les dernières parties du film. Face à l'angoisse progressive du ton du film, le spectateur se demande où sera la peur et suit la recherche de Willem Dafoe. Cette recherche convergera alors vers la situation finale. Willem recherche la peur de sa femme, et en s'en approchant, il finit par faire basculer sa femme dans une folie génératrice de peur pour le spectateur. On converge vers l'horreur fantastique de l' « Antichrist » possédant alors sa femme, noyau de la peur et de l'angoisse du film.
La déformation du temps et de l'image au service d'une déroute sensorielle du spectateur. L'angoisse est aussi amenée par des déformations plus ou moins visibles du temps, de l'image et du son. Dans la séquence d'hypnose dans le train, on peut voir de très longs plans avec des ralentis extrêmes. Appuyé sur un son grave constant, le spectateur est dérouté. Ces effets pesants rendent l'environnement oppressant et appliquent une peur sur le lieu de la forêt où le couple se rend. Avant même d'avoir vu le lieu d'un point de vu « réel » on nous le montre par ces images intérieures, caractérisant directement le lieu comme un endroit surréaliste et cauchemardesque. Mais, le premier plan qui suivra ,où l'on verra une voiture s’engouffrer dans la forêt (avec une vitesse naturelle), nous présente alors la forêt cette fois d'une manière réelle, mais déformée. On peut voir les arbres bouger d'une manière très étrange et onduler comme dans un cauchemar. Cela a pour but de subtilement dérouter le spectateur pour qu'il admette complètement le caractère angoissant de cette forêt : il transpose les images surréalistes qu'il à vu précédemment à la réalité de la forêt où se situera tout le reste du film.
Le découpage en chapitres du film amené par « les trois mendiants » (que l'on peut voir dès la première scène sous la forme de 3 statues) nous laisse d'abord incertains sur leurs significations pour ensuite s'expliquer à la fin de l'histoire. Ce découpage construit le film vers son dénouement afin d'amplifier le caractère symbolique des livres sur le sujet de thèse qui vient s'imposer dans le réel par ces animaux effrayants et dérangeants et par le comportement « possédé » de Charlotte Gainsbourg. Il est intéressant de voir que Willem Dafoe regarde à plusieurs reprises les animaux en regardant presque directement la caméra (notamment dans l'épilogue où il regarde directement la caméra pour voir les trois animaux réunis). Par ce fait, ces animaux peuvent « représenter » le spectateur qui va être observateur de l'action, présent dans la forêt. Selon cette idée relativement discutable, on peut voir un spectateur qui a plusieurs formes (tout spectateur verra le film différemment, d'un point de vu différent). D'abord en biche il fuit Willem Dafoe, ensuite en renard il se cache de lui et se mange, puis en corbeau il est prisonnier avec Willem dans le terrier de renard. Le spectateur réagit différemment comme les 3 mendiants réagissent différemment, l'un fuit ce qui le dérange, l'autre s’autodétruit et le dernier cri au secours. Mais tous les trois convergent vers la mort du personnage. Chaque spectateur reçoit ce film différemment, mais tous finisse par arriver à la même fin : la mort inévitable du personnage.
Un autre point important pour édifier la peur est la violence crue montrée. Progressivement, des gènes quant aux images arrivent au spectateur. Charlotte Gainsbourg se frappant violemment la tête contre les toilettes, la main de Willem Dafoe recouverte d'étranges choses à son réveil, les représentations des 3 mendiants (l'enfant mort de la biche, le renard qui se mord), les scènes de sexe très bestiales et crues, l'oisillon dévoré par un aigle, l'éjaculation de sang de Willem Dafoe, la meule accrochée à sa jambe... Autant d'élément déroutant inhabituel à voir au cinéma. Lars von Trier veut sortir des codes et provoquer le spectateur en lui montrant ce qu'il ne veut pas voir. La violence est progressive pour arriver sur un gros plan, climax du dérangement, où l'on voit Charlotte Gainsbourg se découper le clitoris. En regardant cette scène, la répulsion face aux images est à son maximum, et la réaction naturelle étant de détourner le regard. Ces éléments affectent la peur engendrée par le film. L'anticinéma de Lars von Trier ne compte pas simplement hérisser le poil, il veut choquer et déranger ; plus que la peur, les images amènent la terreur. Chose qui est amenée très progressivement jusqu'à la scène finale, la plus choquante et déroutante.

Le film est très riche en symboles et en représentations. Les parents confrontés au décès de leur enfant. L'homme dirigeant sa femme. L'obsession de la thèse de Charlotte Gainsbourg (qui l'a pris avant le décès de son fils). La répression des femmes à travers l'histoire. Toute cette richesse permet aux spectateurs de trouver des lectures différentes du film. On peut par exemple y voir l'homme intelligent et rationnel qui pousse la femme vers la folie, en voulant diriger ses façons d'être (chose qui sous cet angle semble mal tourner en ajoutant le deuil). De cette idée l'homme serait « l'antichrist ». On peut également avancer que Charlotte Gainsbourg, suite à ses souffrances, se fait posséder par toutes les femmes mortes à cause des hommes, symbole de Satan dans les livres qu'elle étudie (elle se met à faire tomber la grêle, parler avec une voix différente, etc.. ). Elle serait donc l'antichrist voulant se venger des hommes. Une autre interprétation serait de voir l'acte sexuel comme cause de tous leurs tourments. À cause de ce besoin présenté de manière « bestiale », l'enfant serait mort. Et tout le film se développe sur la prise de conscience de ce fait, expliquant la volonté de perdre son clitoris. On peut aussi penser que le lieu à lui seul génère toutes ces « crises ». En arrivant dans la forêt la première réaction de Charlotte est : « le sol brûle » puis elle montre des brûlures à son pied. De plus, on voit aux trois quarts du film le couple faire l'amour sur des racines avec un grand nombre de corps tout autour. Willem Dafoe l'aurait conduit directement au cœur de l'enfer, représenté par cette forêt. Dès son séjour avec son fils dans la forêt son comportement a changé (perte de la capacité d'écrire normalement, chaussures mises à l'envers à son fils). L'endroit serait alors la cause de tout.
Toutes ces interprétations s'entremêlent et aucune ne prédomine et ne peut écraser les autres. Et selon le spectateur et son vécu, une interprétation peut être découverte tout en n'ayant absolument aucune lecture des autres. D'une première lecture, on choisit une seule possibilité logique expliquant les évènements du film. Mais en le revoyant on se rend compte que Lars von Trier sème un bon nombre d'éléments auxquels nous ne porterons pas tous la même attention. Un individu peut rester sur l'élément perturbateur qu'est la mort du fils pour expliquer tout le film grâce aux éléments développés dans ce sens (souvenir avec le fils, chagrin, métaphore avec l'oisillon qui tombe du nid, etc...). Tandis qu'une autre personne peut s'orienter vers le changement d'état de Charlotte Gainsbourg (possession satanique), qui va aller plus loin que la simple crise occasionnée par la perte de son fils. Il y a encore dans ce sens bon nombre d'éléments se rapportant à ça (le thème de la thèse, le génocide, transposition de la peur de la forêt vers la peur de Satan, etc...). De plus, le choc et la montée de l'angoisse détaillée précédemment ne favorisent aucune des interprétations. Cela renforce même à des niveaux différents chacune des interprétations possibles.
Toute la séquence finale se déroule avec une brume épaisse à l'extérieur. Ceci appuie toute l’incompréhension amenée par les évènements. Mais l'épilogue reste quand même le chapitre le plus intrigant. Il clôt le film avec les mêmes effets que ceux utilisés pour le prologue : noir et blanc, même musique, mais pas de ralenti. Il fait donc écho direct au prologue. Mais, il rajoute un fantastique qui n'explique rien et rajoute de l'étrange : une foule de femmes aux visages floutés (comme ceux de la première scène du chapitre premier) marche vers Willem Dafoe. La situation finale ne semble donc pas se situer dans le réel à l'opposé du prologue qui lui part d'une situation réelle.

La confusion et le mélange des interprétations sont appuyés par un procédé que nous appellerons ici métalepse implicite. En effet, certains détails peuvent laisser penser à un mélange entre deux narrations : celle de la réalité, où un couple en deuil cherche à échapper la douleur, et celle des livres que Charlotte Gainsbourg étudie pour sa thèse (plan narratif non développé et non explicité, il semblerait qu'ici ce soit un mélange de plusieurs ouvrages racontant une somme de plusieurs histoires). Le récit des livres se transposerait et se confondrait alors avec la réalité. Cette idée est fondée sur plusieurs éléments. D'abord, on peut déjà voir que les animaux présents dans les livres se manifestent alors exclusivement à Willem Dafoe, qui lui ignore leurs significations. Si la folie n'était que présente chez elle, il ne devrait pas les voir. Ensuite, il y a l'outil pour retirer la meule fixée à la jambe de Willem, lorsqu'elle la lui accroche à la jambe, elle sort et jette délibérément l'outil sous la maison. Alors qu'ensuite lorsqu'elle redevient un instant « normale » elle recherche l'outil d'abord dans la boite à outils alors qu'elle devrait se souvenir qu'elle l'avait caché. Puis, lorsqu'elle parle de sa thèse à son mari, elle explique que les sorcières de ses livres pouvaient faire tomber la grêle. On voit, peu après lorsqu'elle se rend compte qu'elle a regardé son enfant sauter sans rien faire (souvenir d’elle, dans la réalité), qu'elle fait tomber la grêle en criant (alors que c'est un personnage de ses livres qui est censé avoir cette capacité). De plus lorsque Willem Dafoe fouille dans ses écrits concernant sa thèse, il voit qu'elle a progressivement perdu la capacité à écrire. Ceci montrant l’effacement de son expression propre face à celles des livres qui rentrent en elle. Jusqu'ici, on peut tout simplement se dire que ses recherches lui sont montées à la tête et qu'en parallèle c'est réellement une sorcière. Mais là où l'idée de la métalepse implicite prend du sens, c'est lorsqu'on voit Willem Dafoe brûler le corps de sa défunte femme. Durant tout le film, ce personnage portait le calme face à la crise, la rationalité, il était celui qui voulait la sauver. En aucune raison, il n’aurait naturellement eu l'idée de brûler sa femme. Chose qui se passerait normalement dans un récit portant sur les sorcières. À ce niveau, Willem est également touché par l'histoire parallèle non développée, qui vient alors se greffer sur l'histoire « réel ». Ajoutons à cela la séquence qui suit le feu. On le voit faire le chemin retour en boitant. Détails étant que tout est très ralenti et que ce sont exactement les mêmes cadrages que ceux utilisés lors de la séquence d'hypnose au début du film, qui elle, était totalement fictive, dans la tête de Charlotte. Arrivé ici, Willem semble projeté dans un cauchemar alors qu'il devrait justement en sortir, si toute la folie ne prenait source que dans l'esprit de Charlotte. Des cadavres apparaissent également progressivement, le plongeant totalement dans un autre récit, sur les lieux d'un génocide.
Tous ces éléments mettent en place une métalepse implicite qui reste cachée, et n'est pas complètement vérifiable. Ceci ayant pour but de plonger le spectateur dans la brume. Couplé à la violence, le spectateur est totalement dérouté, perdu. Il cherche du sens ou reste totalement écœuré et gardera un très mauvais souvenir du film marquant ainsi les images dans son esprit. Le sens alors se dégageant de toute cette brume en mettant de côté les premières parties du film, semble très métaphorique par rapport à la femme. Willem représentant les hommes, et Charlotte représentant le caractère satanique présent dans les femmes de ses livres, femmes persécutées et tuées par ces derniers, telles des sorcières. Cette séquence nous envoie alors sur l'épilogue qui, comme nous l'avons dit plus haut, n'est pas très clair lui non plus. Ces femmes sembleraient alors être toutes celles tuées par les hommes. Par la mort de sa femme (devenu symbole de Satan par l'explication metaleptique), Willem aurait fait « sortir » l'image de femme satanique sorcière présente dans la tête des hommes. Permettant ainsi à toutes les femmes tuées dans ces « génocides » de connaître le repos en s’élevant vers un paradis (même cette conclusion ne tient qu'à moitié car il y a également un plan où l'on voit des femmes descendre vers Willem).

Lars von Trier à dit à propos de son film : "I am really the wrong person to ask what the film means or why it is as it is,", "It is a bit like asking the chicken about the chicken soup.". Créer ce film lui aurait permis de sortir d'une lourde période de dépression. Avec Antichrist, il nous donne une œuvre sortant complètement des codes classiques du cinéma. Des schémas de peur amenés par des procédés atypiques : violence, angoisse, etc. Mêlant plusieurs idéologies non explicites, ce film donne une expérience très « hors-norme », un choc pour la plupart. Il ne rentre pas tendrement dans les esprits et bon nombre de critiques n'ont pas su l'apprécier à cause de ces déviances, montrant du doigt un cinéma « abject et dégueulasse », fermant les yeux sur toutes ses richesses. Mais, troubler n'est-il pas le but que ses spectateurs ont trouvé au film pour marquer son propos ?
Ceci étant dit, pour moi, c'est un chef-d’œuvre.
Benoît_Adam
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 févr. 2016

Critique lue 3.4K fois

8 j'aime

Benoît Adam

Écrit par

Critique lue 3.4K fois

8

D'autres avis sur Antichrist

Antichrist
Aurea
4

Trop c'est trop

Ayant vu le film à l'époque en avant-première, je me contenterai de dire que c'est une oeuvre démente: le fruit d'un esprit malade et dérangé en dépit de certains passages assez beaux noyés hélas...

le 15 août 2011

99 j'aime

133

Antichrist
Sergent_Pepper
4

Les ciseaux et le renard

Voir Antichrist après Nymphomaniac est très instructif ; on comprend bien plus les innombrables réserves quant à ce dernier opus, voire les réactions épidermiques qu’il peut provoquer pour tous ceux...

le 12 janv. 2014

66 j'aime

11

Antichrist
Velvetman
8

Chaos Reigns

Le réalisateur l’a avoué lui-même : Antichrist a été comme une thérapie pour lui, un espace infini et imaginaire de toutes ses pensées négatives. Et le résultat, féroce et physique, est bien celui...

le 18 juin 2018

40 j'aime