Cordialement décrié à sa sortie parce que Mel Gibson, Apocalypto n’en demeure pas moins un superbe film d’action, qui nous transporte dans des contrées et une époque que l’on a hélas trop peu l’occasion d’admirer au cinéma.



Une hérésie historique ?



Le film a été largement critiqué parce qu’il serait anti-historique et mensonger. Effectivement il présente comme beaucoup d’autres son lot d’anachronismes (l’art maya classique est intégré dans une société post-classique, peu vraisemblable certes, mais pas impossible, contrairement aux coupoles Renaissance de Gladiator). En revanche, je ne pense pas qu’Apocalypto ne “comprenne rien” à la civilisation maya ou la “défigure”.


Certains ricanent en affirmant très sérieusement que Gibson a confondu les Mayas et les Aztèques, ou qu’il s’est raté en représentant la civilisation maya classique plusieurs siècles après sa disparition lors de l’arrivée des Espagnols. Eh bien surprise : non.


Il aurait difficilement pu se tromper à ce point vu que, outre les recherches préparatoires effectuées, des anthropologues et historiens spécialistes des Mayas étaient présents sur le tournage pour le conseiller sur le plan historique et linguistique.


Il y a d’ailleurs un documentaire très intéressant sur le making of d’Apocalypto, où l'on peut voir que l'équipe du film ne se moque vraiment pas de nous :
https://www.youtube.com/watch?v=qZnaM6Yadfk


Alors certes, tous les anthropologues et historiens mayanisants ne sont pas forcément d’accord avec ceux que Gibson a consultés, mais c’est tout à fait normal, car personne ne détient la vérité sur le sujet. Il faut quand même bien se représenter le fait que l’on a extrêmement fort peu de sources pour connaître et interpréter cette culture (relativement à d’autres civilisations et époques en tout cas).


Les historiens débattent encore chaudement au sujet du XIXe siècle européen pour lequel on croule sous les sources écrites et les preuves tangibles, alors imaginez le carnage pour l’Amérique centrale avant le XVe siècle, si mystérieuse. C’est tellement vrai qu’on ne sait tout simplement pas pourquoi la civilisation maya classique s’est quasi-totalement effondrée vers les IXe-Xe siècles, et que certains hurluberlus y vont même de leur théorie basée sur les enlèvements extraterrestres.


Bref, un certain nombre de visions et d’interprétations différentes des aspects de la civilisation maya cohabitent aujourd’hui, et lorsqu’on voit les vulgarisateurs du dimanche qui s’en prennent à Gibson pour le traiter d’idiot, on ne peut qu’être atterré par leur prétention à décréter ce qui est “’historiquement correct”.


Evidemment tout est simplifié dans Apocalypto, c’est un film, les chasseurs-cueilleurs parlent apparemment la même langue que les Mayas des villes, ils n’habitent qu’à un jour de marche et ne sont séparés que par un énorme fleuve, ils vont être sacrifiés juste aprèsleur arrivée : ça permet de garder un rythme haletant. On a vu bien pire comme facilités dans d’autres films historiques (Gladiator toujours, que j’apprécie par ailleurs, est pour le coup une véritable orgie d’imagination débridée, au niveau stratégie militaire et jeux du cirque notamment).


Sur la question des anachronismes et incohérences relativement mineurs, il y en a, c’est sûr, pas fondamentalement plus qu’ailleurs. La vraie question c’est : Apocalypto a t-il défiguré la culture maya en la dépeignant de manière mensongère ?



Les Mayas ont une part d'ombre, comme tout le monde, et ça ne retire rien au reste



Beaucoup d’opposants du film affirment que la civilisation maya ne serait que raffinement, amour de l’astronomie et des mathématiques, et n’aurait connu qu’épisodiquement la guerre et l’oppression. Non, nous dit-on, les bad guys du coin, c’était les Aztèques, les autres sont des agneaux (on croirait les officiels soviétiques déclarant que seul Staline fut un meurtrier, mais que Lénine et les autres étaient tout à fait irréprochables).


Déjà notons que le raffinement intellectuel n’empêche pas forcément la barbarie (l’Allemagne nazie concentrait sur le plan scientifique parmi les meilleurs cerveaux du monde), et que cette vision historiographique de l’Amérique centrale (bons Mayas méchants Aztèques) est périmée depuis plus de cinquante ans. On sait aujourd'hui que les Mayas pratiquaient eux-aussi les sacrifices humains en grand nombre pour apaiser leurs dieux. Selon le docteur Barbara MacLeod dans son “In Defense of Apocalypto”, ils avaient également des rituels de torture horribles que Gibson n’a heureusement pas mis à l’écran (arracher la mâchoire inférieure des captifs, leur briser les doigts, les jeter du haut des marches des pyramides, etc.).


Surtout, Apocalypto ne prétend pas être une “synthèse” de l’histoire maya, il concentre son propos sur l’ère de la décadence. Un film dédié à la décadence romaine se concentrerait de manière similaire sur l’abrutissement des foules, la dissolution des moeurs, les sanguinaires jeux du cirque, pas les progrès techniques et philosophiques de l’Empire. C’est un choix de réalisation pour accompagner les thèmes du long-métrage, ça n’est pas une condamnation définitive de l’INTEGRALITE de l’histoire des Mayas (référence est d’ailleurs faite à leur science astronomique : le prêtre et le monarque se lancent un regard complice lorsque se réalise l’éclipse qu’ils avaient prévue pour couronner leur cérémonie).


Ce n’est pas non plus une justification de la conquête espagnole du Nouveau Monde.


Lorsque les caravelles débarquent leurs hommes, deux guerriers mayas s’avancent vers eux, fascinés par la force que dégagent les monstres marins, les armures clinquantes et la possible divinité des nouveaux venus. Patte de Jaguar, notre héros, a au contraire assez bien saisi les sombres invariants de la nature humaine pour ne rien attendre de ces étrangers. Il préfère s’enfoncer dans la forêt, pour fuir à jamais les hommes de pouvoir.



V'là les thèmes...on t'a reconnu Mel



Le film est conforme aux convictions religieuses de Mel Gibson (péché originel, parcours christique) mais le tout n’est jamais imposé avec lourdeur, à peine suggéré dans la symbolique et le déroulement de l’histoire. Ceci fait d’Apocalypto un récit universel, très peu militant, et dont on appréciera le respect porté à la culture maya par le recours à sa langue (qui fait ça au cinéma aujourd’hui ? Sérieusement ?).


Péché originel car ici pas de bon sauvage, les hommes sont partout les mêmes, ils chassent quiconque est plus faible qu’eux (animaux comme humains). On n’idéalise pas les populations “primitives”, mais on admet que la civilisation est susceptible de rajouter un cran dans l’ignominie et la barbarie. Dans la ville en effet, la violence n’est plus exercée par l’essentiel de la population, elle est simplement déléguée à la caste militaire, et tous se repaissent du supplice des captifs alors qu’ils n’ont aucunement participé à la victoire sur ceux-ci. L’homme n’a même plus le courage de ses penchants brutaux, il est juste vil et sadique.


Aspect christique car le pouvoir et la violence gangrènent toutes les institutions (politiques, religieuses) et tous les hommes, qu’il n’y a plus qu’à se révolter face à cette ordure générale. Le parcours de Patte de jaguar peut d’ailleurs être sympa à évaluer au regard de la théorie du bouc-émissaire de René Girard ; comme révolte de la victime innocente contre une société inique (qui ne peut plus maintenir de semblant de vitalité que par l’immolation frénétique d’innombrables victimes).



Une affaire qui roule



S’il y aurait sans doute bien d’autres choses à dire, je finirai juste en disant que j’ai été totalement conquis par l’histoire et les visuels du film. L'action est haletante (c'est un vrai félin qui court derrière notre héros), la forêt fort bien filmée, les décors et costumes somptueux (ils ont tous été réalisés matériellement, et ça se sent vraiment). Le jeu est bon et les personnages attachants. Apparemment la direction d’acteur de Gibson est vraiment efficace, on peut le voir faire le pitre sur le tournage, débrider ses acteurs dont tous ou presque n'avaient jamais joué, leur montrer la voie... Au final ils sonnent tous aussi justes les uns que les autres, alors que ça aurait pu être kitsch à souhait.


Mention spéciale aux antagonistes du film qui sont très bien construits et ajoutent une vraie tension (du sadique intégral qu’on adore détester au chef de guerre plus noble et menaçant pour lequel on peut éprouver de l’empathie à divers moments). Suivre le groupe de guerriers qui traque Patte de jaguar, en évoquant leurs doutes, leurs faiblesses et leurs tensions, est une très bonne idée pour densifier l’histoire et éviter le schéma du méchant de série Z.


Course-poursuite viscérale et généreuse, toujours prompte à nous proposer divers axes de réflexion sur la nature humaine (ce qui la magnifie comme ce qui l’avilit), Apocalypto est ainsi une superbe expérience visuelle, dont le re-visionnage s’avérera terriblement facile.

SombreRascasse
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le 17 nov. 2017

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