Road-movie désenchanté, western crépusculaire, ballade macabre et malsaine, romance noire ? Apportez-moi La Tête d'Alfredo Garcia est tout celà à la fois. Sam Peckinpah réalise la parfaite synthèse de son cinéma dans ce maelström de tous les genres chers à son œuvre.


Particulièrement morbide, la quête du héros, s'apparente à une descente aux enfers. Le personnage de Benny, qu'interprète Warren Oates, l'un des acteurs fétiches de Peckinpah, est un loser un peu bohème qui se retrouve dépositaire de l'objet de la quête, en l’occurrence une tête découpée sur un cadavre..., pourrissante et attirant la convoitise de tout une nuée de charognards. Par appât du gain, il entraîne son petit monde, peu de choses au final, une femme entre deux âges dont il est épris et une illusion de richesse qui s'avère au final une bien modeste obole, commettre le pire pour quelques dollars. On est en pleine déconfiture, les énormes sacrifices et risques que fait prendre cette quête conduira inévitablement à l'échec. En cela, ce film possède une certaine parenté avec le chef d'oeuvre de John Huston, Le Trésor De La Sierra Madre, avec son héros presque déjà mort qui s'accroche à ses illusions.


Un faux western typique du genre à la Peckinpah, avec ces trognes mal rasés et suantes, ces bandits en col blanc et ses péons miséreux, mais aussi un regard sans concession sur la relation étrange du système politique américain des années Nixon avec les dictatures sud-américaines. Les commanditaires sont flanqués de costumes impeccables, ont des allures de gentlemen, mais se conduisent comme de vrais tortionnaires, notamment dans une scène où l'un des deux cols blancs gifle violemment une prostitué qu'il laisse quasiment pour morte. Le film est également une ballade très ancrée dans son époque, sous la caméra de Peckinpah elle devient un étrange mixe punk-anar avec ses bikers baba-cools violeurs et la présence permanente d'une guitare et son côté presque anachronique.


Le héros du film noie ses actes dans l'alcool et finit par se réveiller justement quand il meurt une première fois, à la manière d'un zombie, la scène du cimetière empruntant pas mal aux codes du film d'horreur. Sa quête prend alors une tout autre dimension, il vient de perdre sa seule illusion, l'amour, et désormais ses intentions prennent une tout autre direction. Il s'agira alors d'un retour à la case départ, un road-movie inversé, un aller-retour létal.


Comme d'habitude chez Peckinpah, la violence est très graphique et magistralement chorégraphiée, elle est à la fois belle et repoussante, poétique et vulgaire. Tout son cinéma en quelques sortes, jalonné de plein contradiction. Écrabouillé dans l'absurde la beauté prend une connotation étrange, un cinéma non consensuel et finalement d'une grande liberté.


Probablement son film le plus abouti, même si totalement étrange et parfois malsain, Apportez--Moi La Tête d'Alfredo Garcia est le manifeste d'un très grand réalisateur qui aura apporté un style éprouvé et d'inspiration universelle au 7ème art.

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le 27 mai 2016

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