Une petite sculpture en porcelaine

D'abord, que c'est beau ! Purée que c'est beau. Le film m'a directement conquis par son esthétique, sa façon de présenter des personnages dans des cadres très épurés, leur donnant une forme de vulnérabilité appuyé par une pudicité apparente.


C'est l'histoire d'Asako, une jeune japonaise qui va vivre deux amours, le premier: un feu d'artifice, l'amour de la passion. Puis le second amour, plus banal, plus simple d'une certaine manière. Le film va venir fracasser ces deux formes d'amour l'une contre l'autre. Cette lutte on ne la ressent pas réellement, on se contente de la deviner dans le personnage d'Asako, qui par son jeu réservé, nous rend son imaginaire inaccessible. Elle dit si peu, qu'on ne peut pas vraiment savoir ce qui l'habite, si ce n'est une petite gène, un petit malaise, qui va faire tout le cœur du personnage.


A l'inverse de Félicie dans Conte d'hiver d'Eric Rohmer qui ne cesse de nous dire qu'elle n'est pas bien, que son grand amour lui manque, qu'elle ne pourra jamais aimer comme elle a aimé ce premier homme, là Asako s'enterre dans un silence frappant et déconcertant qui ne nous permet pas vraiment de deviner son ressenti avec exactitude.


Le film est traversé par une sorte de dualité (rien que dans le titre) qui va venir s'insérer dans la réalisation d'une manière assez remarquable. Un jeu de couleur entre deux nuances : bleu et jaune. Les deux couleurs réapparaissent tout au long du film, imbriqué l'une dans l'autre, avec à chaque fois une forme d'ingéniosité, je me suis d'ailleurs amusé à observer cela dès que je l'ai remarqué et c'est fou comme très souvent le réalisateur arrivait à insérer très discrètement ces deux couleurs dans le cadre. Elles symbolisent selon moi la lutte interne d'Asako


Le bleu symbolise la sécurité et le repos alors que le jaune lui symbolise plutôt la vitalité, la stimulation, la première couleur représente l'amour présent d'Asako, ancré dans une forme de mondanité rassurante (le bénévolat tous les mois, l'achat d'une maison, etc...) alors que le jaune est celle de son premier amour, l'amour explosif (les pétards lors de la première rencontre, l'accident de moto, l'incertitude d'être avec un électron libre).
Ces deux couleurs vont se collisionner tout au long du film, le jaune gardera l’ascendant, planant sur les visages des protagonistes, comme un souvenir qui refuse de quitter Asako.
A certain moment il s'insère subrepticement comme dans la scène du marché: après avoir fait leur bénévolat le couple se voit offrir plein de produit de mer par un des marchands, le cadre est alors d'un bleu très intense.
« on reviendra le mois prochain. »
« oui sinon vous ne mangerez plus jamais rien d'aussi bon. »
Cette réplique du marchant est suvie par l'insertion d'une objet jaune vif en arrière plan dans le cadre, comme une petite graine qui vient se planter dans les pensées d'Asako dont le sourire à ce moment semble plus triste qu'autre chose.
À plusieurs moment le jaune vient totalement envahir le cadre. D'abord quand Ryohei se sèche les cheveux puis reçois un appel d'Asako qui ne peut plus continuer à le voir, car ce dernier lui rappel trop Baku. Puis dans la scène du restaurant, où Baku refait surface et emmène Asako avec lui. Mais quelques heures plus tard, Asako se réveille dans un cadre totalement bleu, elle a réalisé ce qu'elle voulait vraiment et décide alors de repartir vers Ryohei.
Mais alors que penser de ce cadre de fin où le jaune est toujours présent, et où le bleu du t-shirt de Ryohei, dé-saturé, semble fatigué ? C'est là toute la beauté de cette fin ouverte qui n'est pas un "happy ending" de film romantique tout bête, mais plutôt une vision réaliste des rapports de couples qui se reconstruisent sur la durée.
Il y aurait certainement beaucoup à dire encore sur l'utilisation des couleurs dans ce film, d'ailleurs je me demande ce que peut bien symboliser la scène dans la boîte de nuit au début dont l'intérieur est éclairé par des lumières bleues.


Je pense que ce film est un véritable travail de virtuose sur le plan technique. Il mérite clairement plusieurs visionnages tant il est riche. Son propos m'a semblé profondément touchant et émouvant, on pourra déplorer quelques dialogues d'exposition par-ci par là mais personnellement ça n'a en rien dérangé mon visionnage tant j'étais captivé par l'image avant tout. Le jeu des acteurs est subtile, une certaine vulnérabilité se dégage de l’œuvre, elle est appuyé par cette bande son un peu bizarre mais qu'on aime bien. Tout cela donne au film un charme original dont la subtilité pourra facilement échapper à certain. Une œuvre fragile face à nos critiques faciles, une petite sculpture en porcelaine.

Jz_Mokā
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le 10 mai 2021

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Jz_Mokā

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