Deux ans après Le Monde du Silence co-réalisé avec Cousteau, Louis Malle tourne son premier long-métrage en solo. Il a 25 ans lorsque sort Ascenseur pour l'échafaud, film noir anormalement stylé pour une production française dans le genre. Tiré d'un roman éponyme (de Nissim Calef, auteur en français d'origine bulgare), il fait suite à la suggestion d'Alain Cavalier (Un étrange voyage, Ce répondeur ne prend pas de messages), qui occupe la fonction d'assistant réalisateur. Le film emmêle de folles tentatives d'évasions, avec deux couples cherchant à larguer les amarres. L'amoralité bienveillante et compréhensive qui caractérisera plus tard les mises en scène de Louis Malle se diffuse déjà, avec pudeur et sur des thèmes plus 'acquis' (échos à la jeunesse, à la fatigue du 'béton' et des pressions de la vie contemporaine).


Ce quator a une passion bien 'mallienne'. Il exprime la volonté d'être extérieur à la société, à ses illusions ; liberté souvent déçue quand elle n'est pas contrariée – la petite héroïne de Zazie dans le métro finit blasée après toutes ses explorations, Belmondo le Voleur s'enfonce dans l'ennui et déguise l'intense léthargie qui emmure sa carcasse. Les nombreux recours à la voix-off renforcent les côtés littéraires de toute cette opération ; certains films peuvent donner l'impression d'imager un roman en train de se ré-écrire, Ascenseur donne cette impression ; en sourdine, exultant dans les moments où l'abandon et le monologue intérieur accompagnent le silence. L'intrigue fonctionne sur des quiproquos générés par la 'malchance' du tueur (retenu prisonnier) et du jeune couple se voulant intrépide.


Les complications et incompréhensions se substituent à l'épaisseur narrative, pas toujours nécessaire au cinéma et encore moins lorsque la forme est anormalement déterminante. Le spectateur connaît la vérité vécue de chacun ; il a cette ubiquité qui manque aux gens, fait leur malheur et leur infirmité, la misère de leurs fantaisies ! Le film tutoie un certain romantisme du crime sans le faire sien ; les deux jeunes s'imaginent être 'compris' voire appréciés par le public quand leur aventure sera rapportée ; ce sont des Bonnie & Clyde candides, rêveurs inaptes à la vie et rapidement paumés. La tragédie des hors-la-loi du film, c'est d'être des égoïstes impuissants, coupables sur tous les fronts ; d'avoir des instincts prodigues, des vertus flétries pour les justifier et des capacités trop vaines pour les contenter. La bande-son de Miles Davis souligne avec noblesse toute cette fougue un peu morbide, car empêchée et porteuse de germes dépressifs.


Les dialogues de Roger Nimier sont très 'écrits' mais vifs et les interprètes les relaient avec talent ; les hommes et femmes de cette galerie ont tous une esthétique pour soutenir leur fonction ou liquider leur caractère. Jeanne Moreau est remarquable et naturelle, ce qu'elle sera moins dans la suite de sa très longue carrière – trop consciente d'être fétichisée (par Truffaut dans La Mariée était en noir, ou Fassbender pour Querelle dans un mode mineur), élevée au rang de symbole 'vivant' et rebelle (Jules & Jim), triturée, ou simplement comme c'est le cas ici, magnifiée. Malle la dirigera à nouveau dans Les Amants et Le Feu Follet ; dans le premier il en fait une héroïne 'dissipée' et une femme 'libérée' comme on les affectionne à l'époque. Dans le second, tiré de l’œuvre de Drieu de La Rochelle, Maurice Ronet est un 'anti'-héros dont l'errance n'a plus grand chose de glamour.


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le 20 oct. 2016

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