Je ne le dirai jamais assez, au-delà de son style visuel reconnaissable entre dix milliards, Wes Anderson a une maîtrise technique qui suscite à chaque fois mon admiration. Et ce qui la suscite aussi, c'est la manière dont il restitue une imagerie, avec un souci du détail ahurissant.


Pour Asteroid City, on n'en a pas une, mais deux. On trouve mêlé le milieu du théâtre américain, façon New York, en noir et blanc, avec les Kazan, Strasberg et Cie ou encore les Arthur Miller et un coin paumé du désert, au fin fond de l'Amérique, à la sauce Zone 51, en couleurs propres et vives, façon publicité américaine des années 1950 (avec du Life Magazine pour les photographies prises par le personnage de Schwartzman !). Oui, il y a une mise en abyme disant que tout ce qui se passe dans le désert n'est qu'une pièce de théâtre.


Qu'est-ce que cette mise en abyme apporte de plus, si ce n'est peut-être deux petites minutes touchantes (je vais revenir sur ce point précis plus tard !) ? Ben, rien, au contraire, ça retire même.


Je pense que ces mondes pouvaient être la matière pour deux films indépendants l'un de l'autre (gagnant ainsi un temps précieux pour injecter de la consistance à tous les êtres que l'on croise !). Anderson n'a juste pas pu résister à la tentation de mélanger deux univers a priori totalement opposés. Pourquoi ça retire d'ailleurs ?


Une des particularités des films du cinéaste, depuis La Famille Tenenbaum, c'est de réunir, à chaque fois, une distribution de très gros malade de ouf (habitués de longue date ou petits nouveaux !), à faire piquer un orgasme à n'importe quel cinéphile. Asteroid City n'est absolument pas une exception. Problème, dans les opus précédents, aussi courts que peuvent être certains des rôles des prestigieux concernés, chaque star avait quelque chose, en très grande majorité, d'un minimum solide à jouer. Ici, non.


En voulant développer et mixer deux univers dans un seul et même film, ce dernier a plus de personnages différents. Et qui dit plus de personnages différents dit plus de stars différentes. Sur l'affiche, ça en impose (non, mais, vous lisez tous les noms, les uns en dessous des autres, attention au choc !). Sur l'écran un peu moins. En voulant raconter énormément de choses sur une durée trop réduite pour ça, Wes Anderson n'arrive pas à offrir à tous ses comédiens des compositions bien creusées, des présences percutantes.


A vrai dire, seuls Jason Schwartzman et Scarlett Johansson, parce qu'ils ont plus de temps à l'écran que les autres et parce que les interactions entre les personnages qu'ils jouent sont assez bien approfondies, se distinguent avec, dans une bien moindre mesure (car temps de présence un poil moins important !), Bill Murray, dans une interprétation sur mesure pour lui, franc, cynique, loufoque sans en avoir l'air, mais toujours avec un bon fond... qui, bizarrement, a volé l'apparence de Tom Hanks... et aussi sa voix... euh, attendez... non rien... aussi les enfants du protagoniste (le photographe de guerre à qui Schwartzman prête ses traits !)... et Margot Robbie (les deux minutes susmentionnées, je vais y revenir, promis !). Par contre, pourquoi avoir pris, par exemple, Tilda Swinton, Steve Carell, Matt Dillon, Hong Chau ou encore Willem Dafoe si c'est pour les transformer en quasi-figurants... ah oui, des noms de prestige supplémentaires à imprimer sur l'affiche. Même le bip-bip ne sert à rien...


Et il y a l'apparition de Margot Robbie, deux minutes seulement au compteur, mais touchante (étant donné que l'on voit "revivre" une "disparue", dont l'absence laisse un grand vide à ses proches, et que Robbie sait utiliser chaque seconde pour que son talent brille !), qui pourrait presque justifier la présence du monde du théâtre (mais les défauts qu'il entraîne avec lui, sur l'autre plateau de la balance, sont trop lourds malheureusement !). Reste que si l'ensemble s'était focalisé exclusivement sur le désert (ce qui aurait été en concordance avec le titre !), sur tous les caractères, sur tous les rebondissements liés à ce cadre, le poids émotionnel concernant le personnage, incarné par l'actrice principale de Babylon, avec une écriture différente évidemment, en la transformant intégralement en jeune épouse et mère de famille décédée, n'en aurait pas du tout souffert.


Ah, ce que c'est de vouloir réaliser deux films en un seul et de succomber à l'étalage d'un maximum de noms de stars. Cela faisait longtemps que Wes Anderson ne m'avait pas déçu.

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le 20 juin 2023

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Plume231

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