The Big Red One est sensé être le film pilier de la filmographie de Fuller, celui qui hante son travail et vers lequel tendent toutes ses autres oeuvres. Celui où le cinéaste a mis le plus de lui à travers ses expériences personnelles, on sait que Fuller a fait la Seconde Guerre Mondiale dans les rangs de cette unité. Il a mis du temps à pondre ce projet qui macère depuis ses débuts de réalisateur. Il en ressort une grande œuvre un peu malade, un peu difforme, imprégnée jusqu'à la moelle des obsessions de Fuller.
Le film débute dans les tranchées de la Ière Guerre Mondiale, le sergent Possum, Lee Marvin, abat un allemand qui se rendait, quelques heures après la fin proclamée de la guerre. Il ne le savait pas. Cette erreur est le point de départ autant absurde que terrible d'un homme pris dans une spirale dont il ne peut sortir, condamné à vivre dans cet univers guerrier, de plus en plus désincarné. On le retrouve 20 ans plus tard prêt à débarquer sur les plages de Tunisie.
The Big Red One est construit comme un faux road movie, on pense par certains côtés autant à Dante et ses cercles de l'Enfer, qu'à Apocalypse Now et sa plongée vers l'horreur aimantée par Kurtz.
Sans réelle linéarité, on suit cette unité de soldats qui vont traverser toute la guerre, là encore aspirés par l'horreur ultime que sera la découverte des camps d'extermination, point de convergence et véritable apogée de cette odyssée funèbre.
Construit sous forme de gros blocs d'espace et de temps : l'Afrique du nord (novembre 1942), la Sicile (juillet 1943), Omaha Beach (juin 1944), Belgique (septembre 1944), Falkenau (mai 1945), le film n'est que répétition. Arrivée, combats, morts. Les personnages n'évoluent pas vraiment, et on n'en sait pas beaucoup plus sur eux. On les perd, ils s'évaporent peu à peu derrière la troupe, derrière les décors aux odeurs mortifères, comme des fantômes. A l'exception peut être du Sergent et du soldat Grieff (Marl Hamill). Le film gagne d'ailleurs beaucoup dans la relation entre ces deux là, le premier se persuadant qu'à la guerre on n'assassine pas on tue, le second incapable de tirer et voulant déserter.
Malade, le film l'est d'abord par cette envie d'y mettre tout : l'horreur de la guerre, son absurdité, la folie, la place ou plutôt la non-place de l'homme américain dans un monde où il a du mal à se situer : perdu géographiquement, historiquement, culturellement.
Malade aussi dans sa forme qui hésite constamment entre l'amplitude de la fresque guerrière, s'étalant sur plusieurs années, sur plusieurs territoires avec un gros boulot de reconstitution historique. Et la fureur fullerienne qui se dégage lorsque l'on recadre sur des visages, des blessures, des corps (le Fuller du cinéma B). On évolue entre un certain classicisme, la guerre filmée de façon soignée en plan larges, et un côté plus brut et frontal façon guerre-spaghetti.
Surtout que Fuller se permet des percées poétiques vraiment étonnantes, éparpillée un peu partout et surgissant sans que l'on s'y attende : une enfant sicilien qui veut enterrer sa mère, un asile d'aliéné en Belgique, une plage paradisiaque en Tunisie,...
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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Teklow13

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