Audition
6.8
Audition

Film de Takashi Miike (1999)

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Après la trilogie Internal Affairs, le distributeur indépendant The Jokers continue de me faire plaisir, ainsi qu’à tous les cinéphiles, avec la ressortie en version restaurée de trois films de la J-Horror : Ring, Dark Water et Audition. Ce dernier est mon préféré de la J-Horror et du réalisateur Takashi Miike, rien que l’idée de le découvrir sur grand écran est une source de plaisir incommensurable.

Au commencement…

Sept ans après le décès de sa femme, Shigeharu Aoyama (Ryo Ishibashi) décide de se remarier sous les conseils de son fils. Un ami va lui proposer de mettre en place une audition pour trouver sa nouvelle épouse. C’est ainsi qu’il va faire la rencontre d’Asami Yamazaki ( Eihi Shiina).

De la romance au torture porn

Takashi Miike prend le temps de nous raconter cette lente et inexorable descente aux enfers, adaptée du roman de Ryū Murakami.

Le film débute comme un mélodrame avec le décès de la femme de Shigeharu Aoyama, avant de basculer dans la comédie romantique avec la rencontre de Asami Yamazaki. L’homme est sous la charme de la jeune femme. Il est enjoué et entreprenant. Elle est docile et introvertie. Ils se retrouvent dans des bars et restaurants, se racontent leurs vies avant de partir ensemble en week-end et de devenir intimes. Une lente danse nuptiale s’installe entre ces deux personnes.

Ces tendres moments de légèreté et de séduction, où la lumière est douce et chaleureuse, sont en contrastes avec des images furtives à la sombre luminosité avec son héroïne recroquevillée sur elle-même dans une pièce sobrement décorée donnant sur une cheminée ou s’échappe en permanence une fumée blanche. Elle a le visage masqué par sa longue chevelure noire, telle Sadako dans Ring. Un sac de toile est à proximité. Il reste immobile jusqu'à ce que la sonnerie du téléphone retentisse.

Elle ressemble à un ange. Elle est constamment vêtue de blanc, à l’exception d’un manteau rouge annonciateur du sang qui va finir par couler. Sa voix est douce. Elle semble fragile, lui promettant de ne pas lui mentir, en dévoilant sa nudité et ses blessures, se livrant corps et âme à son homme. Elle lui fait croire qu'il est maître de la situation alors qu'il n'est qu'un pantin entre ses doigts de pianiste à la douceur vénéneuse.

C’est le début de la plongée dans les tréfonds de l’esprit malade d’Asami Yamazaki. Shigeharu Aoyama est pris dans ses filets. Elle est comme une veuve noire, où mante religieuse, prenant le temps de dévorer sa proie, en jouant avec son esprit avant de s’attaquer à son physique. A ce moment-là, le film bascule dans l’horreur. Elle est viscérale, susceptible de mettre à mal le public, au point de quitter la salle. La violence est plus suggérée que visuelle, même si on aperçoit certaines parties démembrées de ses victimes masculines.

Une longue scène onirique va semer le doute sur la réalité des événements. Un procédé qui a tendance à me rebuter, souvent utilisé pour palier les incohérences du scénario. Ce qui n’est pas le cas pour cette histoire, tant elle se révèle pertinente et efficace. Elle sert la trame et nous permet de visiter l'esprit de cet homme ainsi que de découvrir les exactions de l'héroïne. Takashi Miike joue avec nos nerfs et parvient à nous déstabiliser après nous avoir conditionné durant sa première partie. Nous sommes pris dans les filets de sa mise en scène et de son montage, tel Shigeharu Aoyama dans ceux de Asami Yamazaki.

L’ange de la vengeance

Avant d’être un bourreau, Asami Yamazaki est une victime. Elle leur fait subir les mêmes sévices reçus durant son enfance. Elle s’en prend aux hommes mûrs avec un important statut social. C’est une sociopathe dénuée d'émotions, tissant patiemment sa toile autour de sa proie. La pratique de la danse classique lui a appris une certaine rigueur, qu’elle a su appliquer auprès de ses victimes.

Elle n’est que la conséquence des agissements des hommes à son encontre. On ne peut pas cautionner ses agissements mais on peut les comprendre. Elle ne frappe pas aveuglément. Ses proies ne sont pas des hommes sans reproches, mais qui l'est vraiment? On peut le constater avec le comportement de Shigeharu Aoyama auprès de sa secrétaire, le fait de monter une audition où au travers de ses fantasmes concernant sa femme de maison ainsi que l’amie de son fils.

J-Horror

Ring, Dark Water, Kaïro ou Ju-on n’ont pas trouvé un écho en moi, contrairement aux remakes us de certains d’entre-eux. C’est surement dû à une sensibilité, où formatage, à l’occidentale.

Audition est une exception. Takashi Miike estime que c’est son film le plus “commercial”. Un terme pouvant, à juste titre, surprendre, tant ce n’est vraiment pas pour tout public. Là encore, cela différencie le public occidental et asiatique dont les sensibilités culturelles ne sont pas les mêmes.

La société japonaise

Shigeharu Aoyama vit dans le souvenir de sa défunte femme, restant auprès d’elle à travers ses rêves. Son fils est devenu un adolescent. Il est moins présent au domicile. C’est sous l'impulsion de ce dernier, qui le trouve terne et décrépit, qu’il va se mettre en quête d’une nouvelle épouse. Le fils est inquiet pour son père. Il ne souhaite pas le voir rester seul. La présence d’une femme de maison, ainsi qu’un adorable chien, ne peuvent combler l’absence d’une partenaire de vie.

Audition aborde différentes thématiques. Le film parle de la solitude au sein d’une société japonaise en pleine dégénérescence. Une société qui évolue dont le patriarcat est mis à mal face à l'émancipation des femmes, ainsi que de la lutte des classes à travers la relation entre Shigeharu Aoyama et d’Asami Yamazaki. Il est socialement à l’aise. Elle semble vivre modestement, voire pauvrement.

Des thèmes qui sont toujours d’actualité avec un isolement accentué par l'émergence des réseaux dits sociaux. Internet devait nous permettre de nous connecter à chacun, de communiquer, d’affranchir les distances et d’effacer les frontières. Il en résulte un repli sur soi accentué par l’accès à tous les services sans sortir de chez soi, avec une exigence accrue, renforçant cet isolement, aussi bien physique que psychologique.

Enfin, bref…

Takashi Miike est un réalisateur prolifique, près de 60 films en 30 ans de carrière. Il aborde tous les genres cinématographiques avec une appétence pour la violence qui est souvent représentée de manière excessive. Un style qui est devenu sa marque de fabrique et trouve son apogée avec Ichi the Killer, un des rares films à m’avoir mis mal à l’aise face à son déferlement de violence d’une crudité insoutenable.

Audition est un condensé de ces diverses réalisations, passant du mélodrame à la comédie dramatique avant de basculer dans l’horreur. Le mélange des genres est un style que j’affectionne, ce qui explique sûrement mon affection pour cette œuvre dont le temps ne semble pas avoir de prise. On a beau en connaître le dénouement, cela reste un moment d’une éprouvante puissance émotionnelle dont le “kili, kili, kili” d’Asami Yamazaki reste un des moments les plus horrifiques et inoubliables du cinéma d’horreur.

easy2fly
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Créée

le 29 mai 2022

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Laurent Doe

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