En 1960, Abel Gance n'est plus le cinéaste qui a tant innové durant la période du muet, avec comme point d'orgue son Napoléon de plus de 5 heures qu'il a retravaillé à quelques reprises (1935 avec l'ajout de dialogue puis 1971) dans sa vie, puis qui a continué à fréquemment tourné jusqu'au début des années 1940.

S'il continuera encore un peu par la suite, Austerlitz, grosse co-production française, italienne, yougoslave et allemande, représente son avant-dernière film et surtout, une tentative de continuer à mettre en scène la vie de Napoléon qui aura donc jalonner une partie de sa carrière.

Et quelle réussite !!

Austerlitz se concentre sur, environ, 3 années du règne de Napoléon, des accords d'Amiens en 1802 jusqu'à la victoire d'Austerlitz en 1805, et on peut diviser le film en deux parties.

La première, assez théâtrale, se concentre sur un Napoléon tiraillé entre sa vision de la France, la continuité de la révolution et la défense du pays, ainsi que son isolement au sein de son propre entourage, où les ambitions personnelles sont nombreuses, tant par sa famille que ses hommes de confiance, ainsi que les femmes de sa vie.

Si cette première partie pourrait paraître trop théâtrale voire verbeuse, elle est surtout passionnante, car Gance se concentre sur le personnage de Napoléon, ses doutes, ses contradictions aussi, tiraillé entre sa vision de la France, du peuple ainsi que la république, et la fragilité de celle-ci.

Gance maîtrise assez bien la multiplication des personnages, il ne perd pas plus de temps que ça à les présenter, et tous s'articulent bien autour de Napoléon. Il est d'abord question de politique, notamment lorsqu'il met en scène le petit théâtre européen où anglais surtout, mais aussi russe et autrichien vont menacer la France et ses intérêts (et vice versa d'ailleurs, il est notamment question de la méditerranée et de l'accès direct de l’Angleterre à sa colonie indienne). Ensuite, il aborde la famille, et c'est là que tout se joue, Napoléon a conscience de l'ambition de sa propre famille qui le pousse à prendre le trône, mais aussi de Talleyrand, plus fourbe encore, dont on se demande toujours quelles sont ses priorités (lui-même, la France... ?) ainsi que les femmes, Joséphine évidemment, sa jalousie à elle vis-à-vis de ses maîtresses, et l'attachement qu'il lui porte, notamment sur les champs de batailles.

Tout ce petit théâtre fonctionne à merveille, et va nous mener à Austerlitz, et c'est là le coup de maître de Gance. Toute la dernière partie nous fait suivre, presque minute par minute, tout le génie de la stratégie napoléonienne lors de cette bataille où, pourtant en infériorité numérique et matérielle, l'empereur va infliger une défaite mémorable et totale, limitant grandement ses pertes, à la collision principalement russo-autrichienne (bataille encore aujourd'hui considéré comme l'une des plus impressionnantes tactiquement de l'histoire et encore beaucoup enseignée en école militaire).

Toute cette seconde partie est incroyable, il y a de la tension, de sublimes décors, une science et un art de cinéma et des dialogues pour créer un montage retraçant avec fluidité cette bataille, tout en lui donnant une dimension particulière où se mêle grandeur et ambition. Une bataille qui n'est pas spécialement violente, tant c'est tactiquement que tout s'est joué, et qu'elle était quasiment finie avant même que les affrontements aient lieux.

Bref, un coup de maître, dans tous les sens du terme !

Au final Gance livre un film fluide, il n'oublie pas de faire participer à sa fresque de nombreux personnages, parfois pour peu de temps malgré l'importance dans le récit (Jean Marais en Lazare Carnot par exemple) et même parfois inutilement (certes, Orson Welles rajoute du prestige à la distribution mais son rôle est assez moindre et guère utile).

D'ailleurs, l'ensemble du casting se fond parfaitement dans de superbes décors (qu'il sublime, il joue avec, surtout l'extérieur même si l'intérieur n'est pas en reste), mais difficile de ne pas mentionner un immense Pierre Mondy, qui parvient à mettre en avant les doutes de l'empereur sans toucher à ses ambitions et sa grandeur (!), mais aussi d'incarner à la perfection le stratège, sans oublier des touches d'humanités, voire même plutôt légères.

Certaines séquences en extérieurs deviennent presque une suite de magnifiques tableaux, tout est fait pour que Gance joue avec les soldats, les généraux, dans une campagne aussi jolie que froide. D'ailleurs, l'armée (et la terre) yougoslave a été mobilisé, donnant une ampleur particulière à la dernière partie.

En signant Austerlitz, Abel Gance continue de sublimer la vie de Napoléon et offre une fresque superbe d'un bout à l'autre, captant les tensions, les doutes et le génie d'un empereur joué avec profondeur par un Pierre Mondy inoubliable.

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le 4 janv. 2024

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Docteur_Jivago

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