Autant en emporte le vent, c’est une fresque romanesque exaltant un imaginaire sudiste glorieux. N’oublions pas que l’autrice, Margaret Mitchell, est née et a grandi à Atlanta. Bercée par les histoires d'anciens confédérés de la Guerre de Sécession, la guerre civile qui a meurtri les Etats-Unis de 1861 à 1865, Margaret est donc biberonnée aux rêves d’un idéal perdu à jamais. Le roman intitulé Gone with the Wind dans sa version originale mettra 10 ans à être finalisé, l’oeuvre d’une vie. Et quelle oeuvre.


Très vite, David O. Selznick perçoit l’immense potentiel pour une adaptation cinématographique et s’empresse d’acheter les droits. Ici commence toute une aventure pour tenter de porter à l’écran un film qui ne laissera jamais quelqu’un neutre, même plus de 80 ans après. Chef d’oeuvre entaché de polémiques sur sa vision tantôt paternaliste, tantôt raciste des esclaves (et cela alors que des efforts avaient été pensés et faits pour limiter la "casse" si on en croit des échanges de mémos de production). Chef d’oeuvre victime de préjugés modernes, de personnes ayant décidé de le détester sans l’avoir regardé, tout ça à cause d’un Youtubeur qui a fait les gorges chaudes d’apporter un avis “rebelle” mais sans profondeur. 5 ans plus tard, je ne me remets toujours pas du grand mal que ce Youtubeur a pu faire et suis estomaquée de voir autant de (jeunes) personnes répéter mot pour mot des arguments fallacieux, sans faire preuve d’esprit critique ou de recul. Comment illustrer un point de vue sudiste sans évoquer le KKK ? Comment se mettre dans la peau d'esclavagistes sans montrer leur vision de l'esclavage ?


La beauté de Autant en emporte le vent, c’est d’abord son duo de personnages emblématiques: Scarlett et Rhett, immortalisés par Vivien Leigh et Clark Gable. Ce sont des protagonistes hauts en couleur, partageant une même passion brûlante et une désillusion totale sur la Cause sudiste. Ce sont aussi des rebelles, chacun à leur manière. Scarlett, si elle joue de sa grande beauté, se moque bien des convenances et use de sa franchise irlandaise, héritée de son père, pour clamer son amour à Ashley sans aucun filtre. On a donc dans cette scène mythique de la bibliothèque un renversement moderne des rôles sociétaux: c’est l’homme qui doit faire comprendre son amour à sa belle, et de manière subtile, et non pas l’inverse. Ashley, par ailleurs, est confondant de bêtise et de platitude, une sorte de stéréotype bien amer de la figure du prince de conte de fée. C’est un personnage qui représente la superficialité et la fragilité de l’idéal sudiste. Tout le contraire du flamboyant Rhett Butler qui en impose par son sarcasme et sa roublardise, un personnage qui s’assume et qui est vrai dans une société factice. C’est Rhett qui “réveille” Scarlett, la forçant à se dévoiler telle qu’elle est, en lui résistant et lui faisant comprendre que ses petits jeux de minauderie ne marchent pas avec lui.
Scarlett est donc au début du récit une jeune fille riche de 16 ans qui brille par son impertinence, sa niaiserie, son antipathie et son arrogance, une adolescente quoi. Mammy est là pour veiller au grain et la remet en place bien souvent, faisant office de figure maternelle. Scarlett fait des erreurs, se marie par dépit/jalousie/opportunisme à des hommes creux et idiots puis...grandit. Elle devient femme. La femme qui se rehausse les manches pour travailler et cultiver la terre dévastée de Tara (la problématique de l'amour de la terre, la seule chose viable et qui compte, est d'ailleurs un des leit motiv du film), la femme qui prend son destin en main, la femme qui devient chef de maison et tue un intrus dangereux. Elle connaît le froid, la faim...le deuil. Ses illusions d’adolescente insouciante sont enterrées. Reste cependant l’amour factice, l’amour de petite fille pour Ashley, une tentative vaine de se raccrocher au souvenir du monde d’avant où elle était tout. Ashley n’a rien à lui offrir alors que Rhett lui fait découvrir la passion, l’action, l’adrénaline, le plaisir sexuel.
Ainsi, la scène légitimement décriée du viol conjugal avec la scène du lendemain où on voit Scarlett ravie, je la vois plus personnellement comme l’illustration très maladroite du plaisir sexuel de Scarlett, à une époque où ce genre de questions était élucidée. Je rappelle qu'on est à la fin des années 30. Dans le livre, la problématique de la découverte du plaisir sexuel avec Rhett est clairement explicitée par l’autrice. Dans le film, il manque clairement un plan, une scène entre le plan où Rhett emporte de force Scarlett dans la chambre alors qu’elle se débat et celui du lendemain, car la confusion est légitimement immense pour le spectateur et ça m’a fait moi-même tiquer.
Malheureusement, Scarlett demeure manipulatrice et ne sort de son aveuglement vis-à-vis d’Ashley que trop tardivement. “Frankly my dear, I don’t give a damn” sonne ainsi le glas d’une histoire d’amour hors du commun.
Au final, cette relation Scarlett/Rhett est aussi incongrue que belle, mouvementée et tragique. Difficile de trouver son équivalent de nos jours.


La beauté de Autant en emporte le vent, c’est aussi sa réalisation, sa photographie et sa musique: trois réalisateurs avec trois visions différentes, ça peut faire peur sur le papier mais le résultat est saisissant. Il y a aussi des costumes d’époque (toutes les tenues de Scarlett sont mythiques) et les nombreux décors à se damner. 80 ans après, le film est toujours aussi flatteur pour nos yeux et nos oreilles. La colorimétrie évolue en fonction du récit en fonction des différentes parties: vert (une civilisation à son apogée), rouge (la guerre, la colère, la rage), brun (la reconstruction après la destruction) et noir (le deuil).


La beauté de Autant en emporte le vent, c'est l'amour porté à la terre et l'héritage, la "seule chose pour laquelle ça vaut la peine de se battre".


La beauté de Autant en emporte le vent, c’est finalement ce récit épique sur 10 ans en accompagnant des personnages complexes qui ne laissent pas indifférents...mais n'est-ce justement pas le propre de vraies œuvres ?

GeaiMoqueur
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le 14 juin 2020

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