Fait d’actualité, banlieues, Camélia Jordana, violences policières, justice, société, famille, histoire vraie ; ne sommes-nous pas devant les mots qui pourraient bien ou mal caractériser une partie des stéréotypes du cinéma dramatique français aux yeux du public ? Peut-être, en tout cas il y en a un que j’ai semble-t-il mis par erreur, et c’est le dernier. « Inspiré d’une (incroyable) histoire vraie » voici le slogan qui fait rêver petits et grands (publicitaires) car intrinsèquement liée à la promesse d’un incroyable récit qui fasse écho à notre vie, notre société et… En fait il y a un truc que je me demande, pourquoi on réagit autant à ce slogan aussi galvaudé, semblant promettre quelque chose de dantesque alors que n’ayant pas plus de pertinence que la plus désuète des tag line ? Influencer l’empathie et faire venir les plus décérébrés vous dites ? Valider le travail d’un artiste avant même de poser ses yeux sur l’œuvre ? Donner de la légitimité à une narration mal construite mais respectueuse de faits importants ? Renseigner le spectateur ? A vrai dire je ne sais pas, je ne pense pas pouvoir savoir, répondre, si ce n’est penser qu’il serait bon de faire au cas par cas. Justement, c’est ce qu’on peut à moitié faire avec le premier film de Mehdi Fikri qui n’est pas à proprement parler inspiré d’une histoire vraie, mais qui est une fiction inspirée de faits réels. La nuance n’est pas de l’ordre du banal carton informatif/protecteur qui s’affiche en début/fin de métrage, mais que la nature même d’Avant que les flammes ne s’éteignent est de compiler thématiquement certaines des victimes de violence policière les plus marquantes ayant eu lieu sur le sol français, pour au final accoucher d’une complète fiction pourtant intrinsèquement liée à notre réalité palpable. En bref, une histoire complètement inventée, mais dont les bases plus que visibles peuvent tout à fait donner l’illusion d’être face à un quasi travail d’archive, une synthèse des maux français au sujet des violences policières. Une nuance plutôt intrigante pour ma part, d’autant plus par rapport à un premier film qui, s’il tombe dans pas mal de facilité d’écriture, ne manque cependant pas d’hargne dans sa mise en scène autant que son propos.




J’en avais parlé avec How to have sex, mais l’écriture et la réalisation d’un premier film est toujours une course d’obstacle parfois bien calomnieuse. Des obstacles, ce Avant que les flammes ne s’éteignent en accumule pas mal, et au-delà de son point de départ alléchant, son développement reste bardé de défauts. De l’aveu de son réalisateur, le prometteur Mehdi Kikri, il voulait à tout pris éviter l’écueil du film pro-banlieue ou anti-police, mais d’après moi, il n’y est arrivé qu’à moitié. A moitié car si sa manière de montrer la banlieue réussit à offrir suffisamment de nuances pour donner des personnages ambiguës et attrayants, le côté « police » est lui bien moins tenu, tout d’abord par sa durée de présence, qui reste jusque là de l’ordre de la note d’intention, mais qui laisse peu de temps au réalisateur pour dérouler toute l’ambiguïté qu’il souhaitait amener. Or ici, si certaines scènes (dont une à la porte du domicile de la famille) commencent de manière plutôt nuancées, elles se comptent sur les doigts d’une main, et trop vite elles tombent dans des écueils d’écriture proche du manichéisme. Dans son travail de documentation, sûrement que le réalisateur n’a pas vu beaucoup d’implication positive de ce groupe, mais la manière qu’il a de l’amener dans sa fiction reste pour ma part trop prévisible voire stéréotypé pour avoir une empathie autre que devant un méchant de Disney. Ce qui est clairement dommage, car dès lors ça me sort du film et réduit le sentiment de réalité qu’avait pourtant travaillé le réalisateur, car plus que de voir sa vision du thème qu’il aborde, je vois des artifices purement cinématographiques mais servis comme un portrait nuancé. Pourtant de l’autre côté, le film réussit bien son portrait de la banlieue, qu’il va évidemment prendre comme victime, sans pour autant tomber dans du misérabilisme, réussissant à donner une ambiguïté vraiment souhaitable à ses personnages, jusqu’au défunt lui-même.


Avant que les flammes ne s’éteignent réussit dès lors à poser ses personnages et surtout à les développer sur tous leurs angles, en prenant en compte leur contexte social pour justifier leur évolution, actions et ressentis. Un travail clairement visible et très appréciable de la part de Mehdi Fikri, d’autant plus par rapport à la manière qu’il a de présenter et de développer ses personnages principaux, soit comme une famille, puisque traitant d’un récit familial toujours à deux doigts de tomber dans une affaire d’état, mais dont les conséquences politiques sont esquivées par le réalisateur afin d’éviter le hors sujet dans le cadre de son récit. Si ce travail d’écriture est vraiment palpable et vif dans les personnages principaux, les autres plus secondaires mais pas pour autant figuratifs prennent une ampleur plus qu’appréciable et inattendu dans leurs réactions, leurs positionnement et leurs relations entremêlées. Cependant de l’autre côté du tableau, il est pour ma part regrettable que Mehdi Fikri n’ait pas réussit à développer ses personnages et surtout son récit sans les gros sabots et ficelles dramatiques qu’il utilise ici, rendant le tout beaucoup plus lourd et moins subtil qu’escompté. Si le geste reste clairement appréciable, le développement bien moins, et encore une fois cette semaine, le réalisateur tombe dans un récit assez programmatique, où le développement de son histoire et surtout de ses personnages suit sa logique thématique et non esthétique. Non pas pour dire qu’il aurait été mieux selon ma vision des choses, Avant que les flammes ne s’éteignent reste un essai scénaristique bardé de promesses mais aussi de défauts plus ou moins irritants et qui empêchent au long-métrage de garantir l’ampleur qu’il aurait voulu apporter, que ce soit par convention d’écriture ou maladresse.




Pour autant, si l’écriture est pour ma part à moitié convenue, ou du moins remplie de scories assez enquiquinantes, cela n’enlève pas au réalisateur la réussite de sa mise en scène qui reste le point le plus appréciable et surtout surprenant de ce Avant que les flammes ne s’éteignent. Il y a un vrai esprit Kourtrajmé qui ressort de cette œuvre, une vraie ambition dans la mise en scène, une envie de tout faire péter par le biais d’un effort technique plus que remarquable malgré des moyens souvent resserrés. La scène de l’annonce de la mort de Karim, suivant un échange de regard équivoque entre 2 personnages laisse rugir une scène incroyablement intense, où seul l’imposant nombre de d’acteurs, l’accentuation du chaos sonore, la mise en scène caméra à l’épaule et j’en passe donnent à vivre plus qu’intensément le fatras qui se joue devant nous. En plus de donner plus de puissance et de saveurs à des attendus scénaristiques, Mehdi Fikri réussit à renouveler son ambition de mise en scène avec un budget similaire à celui du premier long-métrage de Ladj Ly, auquel on pense dès lors bien moins. L’utilisation de plan-séquence lorsque le personnage de Camélia Jordana se voit attribuer de multiples condoléances, l’utilisation d’un drone pour créer un plan zénithal du bâtiment où sont brandies des bannières en l’honneur de Karim, l’utilisation de la foule encore une fois, notamment dans l’une des dernière séquence du métrage ou le moment où Malika répond à des journalistes, offrant des séquences par moments anxiogènes, mais toujours avec une dose de sensationnel, de hargne voire d’épique qui donne un réel intérêt au film autre que son message. Un film qui ne va pas arrêter par ce biais, de passer du drame familial intime, puisque c’est uniquement dans cette sphère que les enjeux du film se déroulent et se concluent (la dernière scène est équivoque dans ce sens) ; avant de passer à un pur thriller, voire à une course contre la montre, littéralement avant que les flammes (médiatiques) ne s’éteignent. Cela se joue aussi dans des scènes au début anodines, comme quand Malika prend la voiture le soir, et qu’une de ses connaissance tente d’échapper aux flic ; encore une fois, le réalisateur comprend comment offrir des moments marquants, mais aussi comment dynamiser les plus attendus. Dommage dans ce sens de ne pas avoir offert ou accentué ce même traitement de faveur aux différentes intrigues familiales, inhérentes au fil rouge tragique, mais beaucoup plus prévisibles dans leur déroulé et surtout moins impactantes dans leur mise en scène bien plus sage. Si cela permet évidemment de créer des ruptures qui accentuent la réussite des scènes précédemment citées, ces moments bien plus convenus apparaissent de toute façon bien moins mémorables.


Niveau technique, le film offre par ailleurs sur la durée une atmosphère hivernale, avec une photo aux teintes bleu-canard/Winding Refn sur 20 tout à fait maîtrisées, et qui accentuent pour moi la (littérale) noirceur de certaines séquences ainsi que le sentiment de lourdeur qui pèse sur les personnages. La séquence de la mort de Karim est ainsi pour moi l’une des plus grande réussite du film, arrivant après l’arrivée d’un tierce personnage en plein milieu du long-métrage, ne jouant que sur un travail sonore pas des plus subtil mais qui permet au film de ne pas filmer ce moment clé tout en nous le faisant ressentir, suppléé par un mouvement de caméra qui enterre toute bonne humeur ambiante. Malgré son côté référentiel, ces éléments donnent de la personnalité à ce Avant que les flammes ne s’éteignent, qui dérive peut à petit du banal « film à sujet » pour souligner son-dit sujet avec une fièvre exemplaire. Le casting tient par ailleurs très bien l’ensemble de l’œuvre, et si je comprend que la présence de miss Jordana puisse intensément gêner (bien qu’à mon avp, elle se soit excusé de s’être emportée trop loin sur les réseaux), elle incarne son personnage et tout ce qu’il représente, autant sur le plan politique que familial, avec beaucoup d’habileté, sans pour autant crier au fort qu’elle veut son césar. Le reste de la distribution s’en sort là encore très bien, et donne un souffle bienvenue à toute cette famille aux membres loin de se ressembler mais qui, au global, s’assemblent sans avoir l’impression que le rôle d’un d’entre eux est inexploité ou au contraire mal développé. Sans compter encore une fois l’excellente idée du réalisateur de concentrer son action dans ce cadre, et même si la prévisibilité de trop nombreuses séquences (ou le jeu un peu plus caricatural d’autres acteurs plus secondaires) amoindrit l’intensité globale du film, son incarnation reste plus qu’appréciable dans le visionnage d’Avant que les flammes ne s’éteignent, qui plus que de simplement parler des violences policières finit par ouvrir son spectre de vision à de nombreux thème. Le deuil en priorité, qui transforme presque intégralement le fil rouge du film de Mehdi Fikri, comme de la question des médias, qui peuvent éteindre les espoirs de justice pour cette famille, des questionnements plus politique sur l’administration du corps du défunt ou même plus simplement les difficultés sociales en banlieues donnent là aussi une plus grande profondeur au film. Au final, Avant que les flammes ne s’éteignent réussit à la fois à prendre le pouls du territoire qu’il filme, et surtout ses habitants, tout en réussit à y ancrer sans que cela fasse tâche une dose de cinéma pour ma part inattendue et dont la maîtrise devient l’un des plus gros point de fort de ce premier film.




Si Mehdi Fikri a pour moi beaucoup à revoir dans son processus d’écriture et surtout narratif pour sortir des sentiers battus, il offre un début de carrière prometteur avec une proposition de mise en scène démente qui ne cache pas pour autant tout le tragique plus ou moins romancé qu’il essaye de transmettre à son spectateur et qui casse (une nouvelle fois) les clichés liés autour du cinéma français.

Vacherin Prod

Écrit par

Critique lue 914 fois

10

D'autres avis sur Avant que les flammes ne s'éteignent

Avant que les flammes ne s'éteignent
therookie
9

Parfaitement juste

J'ai découvert ce film en avant première et j'ai adoré ! Je ne savais pas à quoi m'attendre, j'ai découvert au fil des minutes le portrait du combat d'une famille pour faire entendre ses droits, au...

le 15 nov. 2023

7 j'aime

Avant que les flammes ne s'éteignent
sudsidestory
7

Camélia Jordana superbe et puissante cheffe de file

Un film fort et engagé au parti-pris très clair qui ne mâche pas ses mots, superbement porté par une fratrie soudée, avec à sa tête l'excellente Camélia Jordana. Les références prononcées à...

le 21 sept. 2023

6 j'aime

1

Avant que les flammes ne s'éteignent
ta-gueule
8

Critique de Avant que les flammes ne s'éteignent par ta-gueule

Note arrondie au-dessus pour emmerder les fachos qui foutent 1 par pure idéologie sans avoir vu le film. Ce dernier est plutôt pas mal quoiqu'un peu trop policé : les émeutiers sont sympas et on ne...

le 21 nov. 2023

5 j'aime

7

Du même critique

Moi capitaine
VacherinProd
7

De l'autre côté de la méditerranée

Reparti applaudi du dernier festival de Venise, le grand Matteo Garrone est de retour sur un tout aussi grand écran. Auteur de films aussi rudes que poétiques, des mélanges des deux parfois pour ne...

le 4 janv. 2024

28 j'aime

La Bête
VacherinProd
10

It's only Her end of the love

J’avais exprimé avec Conann l’année dernière, à quel point il peut être ardu de parler en bon et dû forme d’un long-métrage qui m’a autant marqué au fer rouge. D’autant plus pour un metteur en scène...

le 7 févr. 2024

18 j'aime

12

Arthur, malédiction
VacherinProd
2

Maligningite

Atchoum. Il y a 3 mois de cela, on apprenait qu’en plus de son retour derrière la caméra, Luc Besson allait nous offrir un film de genre adapté de sa saga jeunesse Arthur et les Minimoys. Là, je...

le 30 juin 2022

17 j'aime

6