Ave, César ! se présente un peu comme un Once upon a time... in Hollywood avant l'heure : proposition d'un voyage fougueux plus que de la construction d'un suspens haletant dans un milieu formeur de rêves, il s'inscrit dans une démarche d'hommage plus que de création. Si cela ne posait aucun problème avec l'oeuvre de Tarantino, tant elle était très complète et l'une de ses plus abouties (notamment parce qu'elle réécrivait l'histoire de manière admirable), ce film des frères Coen, qui souleva en son temps de vives réactions bien contraires, se dirige vers trop de directions différentes pour canaliser son sujet principal : la représentation actualisée d'une période mythique du cinéma hollywoodien.


Lui qui se voulait pourtant ambitieux, film à personnages plus qu'entravé dans une intrigue unique, manque cruellement d'imagination dans la construction de ses sous-histoires : surtout la principale, la plus importante du film que les bandes-annonces vendaient comme délirante et décalée, l'enlèvement de la star interprétée par un George Clooney en roue libre totale, décevant puisqu'il aura vraisemblablement confondu l'autodérision au surjeu.


Visiblement incapable de tenir son rôle comme il faut, il l'interprète de façon excessive et gâche chaque apparition de son personnage, pourtant porteur des meilleures idées : la thématique de l'extrême gauche réactionnaire qui tente de verrouiller un système capitaliste aliénant à ceci de croustillante qu'elle cache en fait le véritable sujet du film, la mise en avant purement égocentrique de ceux qu'on ne remercie pas aux cérémonies, aux séances d'avant-premières, pour ces artistes de l'ombre que le grand public n'applaudit jamais, ou très rarement.


Scénaristes, monteurs, caméraman, ..., vous les verrez tous passer à l’extrémisme dictatorial dans une sous-intrigue drôlement construite, qu'on sent volontairement poseuse, presque comme si elle se tournait sous les projecteurs en ne quittant jamais des yeux son objectif premier, les oscars. N'est-il pas paradoxal que les personnages du film les moins célèbres quémandent des récompenses, un peu plus de visibilité, de reconnaissance lorsque le film n'est tourné vers les prix prestigieux, et que les festivals ne les façonnent que pour les têtes d'affiche et les postes les plus importants?


C'est aussi cela qui fait défaut à Ave, César ! et l'empêche de fasciner comme pouvait le faire l'incroyable Boulevard du crépuscule : s'il parle du cinéma, c'est parce qu'il a conscience de suivre le procédé qui amène aux oscars et qu'il veut ses petites récompenses annuelles, dans une sorte de bienpensance moralisatrice qui voudrait faussement nous faire croire qu'on peut être célèbre par son simple talent, son ambition ou ses revendications dans un milieu de crabes et de magouilleurs.


N'avançons pas qu'il est purement intéressé; ce serait excessif. Seulement que les Coen peuvent avoir ce petit défaut de faire leurs films en connaissant parfaitement l'ampleur de leur talent, en imposant leur statut de cinéastes de renommée internationale quand un tel film méritait, pour bien se faire, une modestie à toute épreuve : il fallait, pour réussir l'hommage, que les réalisateurs s'éteignent derrière leur style sans chercher à se mettre en avant comme ils le font par les dialogues, les plans, le comportement excentrique de leurs acteurs.


Cela rejoint aussi cette volonté de trop en faire avec trop de têtes d'affiche : à la manière d'un Rodriguez avec Machete 2, les célébrités se bousculent sans qu'aucune n'importe véritablement, à part peut-être un George Clooney ridicule et le toujours très charismatique Josh Brolin, lisse comme son rôle le laissait supposer; on retiendra particulièrement la performance détendue et naturelle d'Alden Ehrenreich, décidément bien plus talentueux chez les Coen qu'avec Ron Howard.


Son personnage, surement le plus intéressant puisque le plus fouillé et profond, apporte à l'oeuvre ses plus jolies thématiques : le dépassement de soi, de sa condition sociale jusqu'à ses capacités personnelles d'élocution et de remise en question, font de cet être un peu simplet, petite parodie d'Audie Murphy (semble-t-il) gentillette, l'une des plus grandes réussites d'Ave, César ! qui l'espace d'un instant devient ce qu'il devait être : un hommage aimant et ringard au vieil Hollywood aimé des cinéphiles du monde entier.


Du reste, je vous conseille d'abaisser vos attentes : Ralph Fiennes, Tilda Swinton, Channing Tatum, Francis McDormand, Jonah Hill, Dolph Lundgren, Christophe Lambert, même Scarlett Johansson ne servent strictement à rien, si ce n'est à larguer une ou deux blagues ou situations cocasses (l'affaire entre Hill et Johansson), une ou deux références placées parce qu'obligées (Chantons sous la pluie avec la danse sur les tables de Channing Tatum), et la plupart du temps à remplir de gueules un casting de personnages trop peu développés/approfondis/aboutis pour être campés par des inconnus.


C'est bien ce qu'on disait au début : les Coen, dans leur désir de faire une oeuvre ambitieuse, ont oublié de canaliser le potentiel de leur univers en balançant tout n'importe comment; à ce point, prier restait la seule échappatoire. Parce qu'il préfère citer que raconter, modifier, Ave, César ! entre dans un processus où il ne parvient même pas à faire vivre aux spectateurs ce par quoi passent ses protagonistes, se renfermant dans un calme plat ennuyeux et attendu, où l'on suivra mollement les comportements grotesques, parodiques, désinvoltes de stars souvent peu trépidantes, qu'on imagine plus présentes pour se montrer dans des rôles à contre-emploi que pour vraiment faire avancer leur jeu.


Cet amusement visiblement partagé par l'équipe ne passe pas au travers de l'écran, et cette bonne humeur générale posée sur une idée de base intéressante, projeter plus que conter, ne raconte finalement rien d'autre que le bon temps qu'ils ont tous passé à le faire, et le temps qu'il leur restait à attendre les sélections des festivals (oscars pour lesquels il n'eut qu'une nomination des meilleurs décors).


Là où ils nous invitaient à vivre un quotidien haut en couleurs, loufoque mais tout de même construit comme un film, les frères Coen nous ont proposé une oeuvre inaboutie avec pourtant une démarche de base prometteuse et ambitieuse, celle de donner leur point de vue léger et revisité d'une époque majeure pour le 7ème art qu'on connaît aujourd'hui, chose qu'ils ont faite seulement de moitié, se reposant sur leur talent habituel et la renommée de leur casting pour s'imposer dans les salles.


Bémol, c'est vide et ne reste pas longtemps en mémoire, puisqu'Ave, César ! n'apporte que des images, et très peu de réflexion. Un film qui prend la pose plus que ce qu'il propose.
Critique peut-être un poil trop négative, mais proportionnelle à la déception qu'il procure. Son potentiel était tel qu'il est dur, après le visionnage, de mettre plus en avant ses qualités visuelles et de dialogues que ses nombreuses lacunes inacceptables.


5,5/10.

Créée

le 19 févr. 2020

Critique lue 138 fois

FloBerne

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