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De l'intelligence du cinématographe (ou de son absence)

Je viens enfin de voir BAC Nord. Par « enfin », je veux dire non pas que je rêvais de voir ce film, que c’était quelque chose que j’attendais. Plutôt un « enfin, c’est fait, corvée accomplie ». J’avais au moment de la sortie pas mal de réticences à voir ce film, à la fois de par le côté polémique, et aussi parce que je ne voulais pas le voir en salle afin de ne pas montrer par mon acte payant que j’avais de la sympathie pour ce type de production et que les gens derrière ne se disent pas « tiens, ce film a plu, c’est ce que veulent les gens, on va en faire plus » (bon, au final plus de 2 millions d'entrées, c'est un véritable succès).

Je disais donc que j’ai enfin vu ce film et il est exactement ce que je pouvais craindre. Mais avant de commencer à entrer un peu plus dans les détails, je tiens à souligner que je ne remets pas en cause que la situation dans les banlieues puisse être lourde, et je ne dis pas non plus qu’être policier en général soit facile. C’est un métier que je n’ai nulle envie d’exercer et que je trouve difficile. On discutera un peu plus de cela par la suite. 


Je vais développer en deux parties tout à fait inégales cette critique. La première, très courte, parlera du film d’un point de vue tout à fait formel. La deuxième parlera plutôt de l’aspect idéologique du film. 


Concernant donc l’aspect formel, le film sans être particulièrement honteux, n’est pas non plus particulièrement brillant. Il nous dépeint une "descente aux enfers" (forme narrative qui prend déjà un peu parti pour le personnage principal) de trois flics de la BAC Nord. La caméra à l'épaule (pour un sensation de réalisme), des acteurs qui ont tendance à surjouer le mâle-alpha-qui-gueule-et-mange-que-de-la-protéine et un montage quelque peu maladroit rendent souvent le film même désagréable à regarder. On dira que c’est efficace, mais plus proche d’un reportage sur une chaîne random que d’une œuvre à la recherche d’une façon de raconter à travers une narration visuelle travaillée. Quelques moments un peu plus « touchants » viennent ponctuer le film et sont plutôt réussis sans être non plus marquants. Voilà, pas grand-chose à dire de plus. C’est correct, ça se regarde mais aucune idée de mise en scène ne viendra servir particulièrement le propos du film.


 "Ce film est inspiré d'une histoire vraie mais reste une fiction" ou comment dire qu'on ne sait pas trop ce qu'on va faire avec son film.


Selon Jimenez, le but n'était ni de faire un film pro-flic ni anti-flic. Autrement dit "mesuré", non ? Voyons plutôt.

La partie idéologique donc. On se souvient tous et toutes de la polémique qu’a engendré le film. D’un côté, on avait tous les fachos pro-Zemmour qui voyaient là l’illustration de leurs propos sur la sauvagerie et la barbarie qui serait déjà chez nous et qu’il faudrait combattre. De l’autre, des gens qui se demandaient si c’était vraiment le bon moment pour sortir un film avec un tel message vu le climat politique et les élections à venir. Tout est plus ou moins parti de l’intervention d’un journaliste irlandais lors de la première à Cannes. Il soulevait maladroitement mais finalement de façon assez pertinente les problèmes du film dans son contexte de sortie. 


Vu ma note, le lecteur se doutera bien que je me situe plutôt dans la deuxième catégorie. Mais entendons-nous bien. Je ne nie pas qu’il y ait des problèmes dans certains quartiers. Je ne nie pas non plus que la police fasse un travail difficile qui broie les esprits et les corps. Le vrai problème du film, c’est de montrer les trois protagonistes comme des héros injustement punis. Ils en deviennent des martyrs dont le spectacle m’a particulièrement mis mal à l’aise dans la dernière partie (cette fin sur House of The Rising Sun, je vais jamais m’en remettre… Jimenez, tu sais de quoi parle cette chanson ?). Finalement, je ne nie pas ce que serait la réalité. Mais pas la « réalité » dépeinte par Jimenez, celle qu’il estime être « neutre ». C’est là tout le piège de Jimenez. Il prétend ne pas faire un film politique, mais il faut être soit naïf soit un peu cynique pour prétendre qu’un film sur la police et les banlieues n’est pas politique, d'autant plus dans un contexte de violences policières médiatisées et de racisme dans la police mis en évidence par de nombreuses enquêtes. Je placerais volontiers à Jimenez dans la première hypothèse, son film apparaissant comme un peu trop stupide (et les discours de Jimenez autour du film au mieux maladroits) pour être l’œuvre d’un cynique. 


Et puis il y a quelque chose de gênant dans le fait d'afficher aussi ouvertement que le film est à la fois une fiction tout en étant basée sur des faits réels tout en faisant tout pour ancrer le récit dans le réel (caméra à l'épaule, interview télé de Manuel Valls, l'histoire se passe à Marseille). De plus, Jimenez, pour construire son film, a rencontré les flics dont parle son film. Seulement eux. Pour ne pas prendre parti et rester neutre, c'est un peu juste, non ? Pour être "neutre", il faut au moins envisager un contrepoint. Construire un commentaire social nécessite une multiplication des points de vue. Bon, apparemment c'est pas la volonté de Jimenez. Mais en même temps si... Enfin on sait pas, dis-nous tout Cédric.


Contrairement à Jimenez, je pense avoir une certaine conscience de la réalité. Pas parce que je vivrais ces situations, mais tout simplement parce que la situation présente est incroyablement complexe et que j’ai conscience de cette complexité (c’est un premier point important pour commencer à toucher la « réalité »). Si à la question du personnage de Gilles Lellouche « Comment en est-on arrivés là ? » le film avait tenté une enquête approfondie de notre société, j’aurais pu saluer l’exploit, même raté, d’une tentative de réponse. Mais le fait est que la seule réponse que semble donner Jimenez c’est : « y a des flics qui font sacrément bien leur boulot, mais la hiérarchie les en empêche, donc moins de hiérarchie et plus de fusils à pompe ». Un peu bas du front.


Soyons donc un peu sérieux et plus rigoureux que Jimenez. Il existe aujourd’hui de nombreuses études de chercheurs et chercheuses particulièrement compétents dans leurs domaines (je pense par exemple à Mathieu Rigouste qui a fait un travail remarquable sur ce sujet) qui ont déjà évoqué « comment on en était arrivés là ». Et « comment on en est arrivés là », c’est le fruit d’une politique de contrôle, de répression, issue notamment du maintien de l'ordre en Algérie et a ensuite été testée et "améliorée" dans les banlieues (pour résumer grossièrement). Aujourd’hui c'est de plus en plus utilisé contre le peuple en général (Gilets Jaunes notamment ces dernières années). Et Mathieu Rigouste parle surtout des méthodes mises en place depuis les années 60, mais cela remonte encore plus loin. Je sais que l'extrême-droite a plutôt tendance à être anti-intellectualisme, mais y a un moment où on ne peut pas s’interroger sur le monde sans faire l’exercice de penser et de créer des outils pour alimenter cette pensée. La sociologie sert à ça. Non pas comme certains le disent « à excuser », mais à comprendre. (coucou Manuel Valls)


« Comment en est-on arrivés là ? » donc ?  Une politique qui préfère continuer à jouer la carte de la répression contre les dealers et les consommateurs de cannabis là où légaliser serait plus simple, plus sain, et enlèverait une partie du contrôle de ces drogues dans ces banlieues, allègerait le travail des flics ET de la Justice. C’est une politique qui laisse des banlieues dans un état de délabrement, hors de toute éducation, loin de tout accès à la culture, que le rap a du révéler au grand jour dans les années 80 pour que la parole de ceux et celles qui vivent là soit un peu reconnue.« Comment en est-on arrivés là ? » c’est aussi une politique du maintien de l’ordre qui broie la plupart de ses agents. Il ne faut jamais oublier que les flics sont aussi la plupart du temps des prolos et que face à un boulot difficile, ils sont bien souvent laissés face à des politiques du chiffre et des moyens dérisoires et ou obsolètes (ce que le film montre un peu pour le coup). Des flics formés en à peine quelques mois, démunis pour gérer de nombreuses situations. 


Il y a un rapport au corps « intéressant » dans ce film. La manière dont chaque corps des mecs de banlieues est soit caché (cagoules, lunettes de soleil etc.) soit idéalisé (muscles saillants). D’un côté on ne donne que très peu de visages à ces gens et en plus on les virilise d’une manière à les rendre sauvages. On les déshumanise et animalise, on ne leur laisse plus qu’un corps impressionnant, justifiant ainsi les corps et les méthodes brutales à adopter pour lutter contre cette « sauvagerie ». Pas de parti pris, vous disiez M. Jimenez ? Quand on suit pendant 1h40 trois flics sans que la caméra ne les lâche un instant et sans jamais montrer l’envers du décor, on prend parti. Involontairement peut-être, mais quand on fait un film on est quand même censés s’interroger un tant soit peu sur ce qu’on fait. A moins que ce ne soit qu’un film de commande ? Essayer par la performative de dépolitiser un film, c’est nier qu’un film est politique. Parce qu’un film, ça parle de nos représentations du monde (et ça en créé), de la société, des autres. Et la manière dont on perçoit le monde dépend des images dont on a été abreuvés. Je ne connais Emmanuel Macron seulement parce qu’on en dit, l’image qu’on en a construite, par les médias etc. Et la manière dont on le montre est aussi politique que sa politique même.  


Donc on en est arrivés là, à idéaliser des cowboys qui ne savent pas trop ce qu’ils font, devenus des brutes sans cervelle (le film montre aussi assez qu’ils sont stupides). Des flics qui lutteraient contre nos « barbares » de l’intérieur. Donc effectivement, rendus là, Jimenez est soit aussi idiot que ses personnages, soit volontairement pour le fait d'ouvrir la voie à une forme de far-west moderne en France. 


Surveiller et punir 


Pourquoi « 2 » alors pour noter ce film ? Parce qu’il ne commençait « pas si mal ». J’entends surtout par là qu’il y aurait eu matière à s’attaquer à ce sujet de manière plus intéressante et que le point de bascule aurait justement pu être ce « comment en est-on arrivés là ? ». Même si le film n’est pas dingue jusque-là, au moins on aura eu une once d’espoir avant de se vautrer complètement. Ensuite, je tiens à noter que dans toute sa maladresse, Jimenez prend le temps de montrer que les prisons détruisent l’esprit et le corps (coucou Michel Foucault). Je pense qu’il n’a pas fait exprès. Parce que là il ne montre ça que pour montrer comment elle casse les flics (qui eux-mêmes mettent des gens ici... Ironique, non ?). Mais il n’y a jamais de réflexion là-dessus. Le système carcéral est là, et il broie… mais surtout ceux dont on estime que leur place n’est pas ici. Une maladresse heureuse qui finit de nous montrer que Jimenez n’a soit jamais pensé son film, soit, encore une fois, est complètement naïf. 


Donc globalement, si on pense que ce film c'est la réalité, c'est aussi et surtout ces réalités là qui en ressortent selon moi : les flics sont corrompus (et stupides) et les prisons sont des structures qui écrasent les hommes et les femmes qui y sont.


Mais ne restons pas sur une note négative. On peut conseiller au moins une autre œuvre majeure afin de se cultiver (et de s’inspirer, Cédric ?). Vous savez quelle œuvre avait réussi à saisir la complexité à la fois de la hiérarchie dans la police, son rapport au politique, du trafic de drogue et des flics (dans leur vie et en fonction) en en dressant un portrait tout à fait saisissant et subtil ? The Wire. Vous voulez voir un truc sociologiquement, politiquement et cinématographiquement plus complexe que BAC Nord ? Regardez The Wire. Je sais que ce n'est pas le même contexte, mais au moins ça peut être inspirant pour de futur réalisateurs qui ne voudraient pas faire les mêmes erreurs que Cecdric Jimenez.

Solid_Seneque
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le 22 oct. 2022

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