Irénique : qui veut éviter les excès d'une attitude polémique.

Voilà un film qui correspond tout à fait à cette définition, puisque la vie d'Amy Winehouse ("maison du vin", quand même) nous est globalement présentée à coup de vignettes tire-larmes, les relations avec nanny, la rencontre avec Blake — je ne dis pas que ces scènes sont mauvaises, la seconde est même assez brillante, mais on joue ici sur les bons sentiments.

Or, que sait-on de la vie d'Amy Winehouse ?

Peut-être a-t-elle essayé de surmonter ses contradictions et ses difficultés existentielles par son art. La bande-son du film est assez intelligemment employée d'ailleurs pour suivre et ponctuer les tourments d'Amy.

Mais son autre béquille, c'est l'alcool et la came.

On la voit un peu boire. Ça n'a pas l'air méchant.

Bon, si tu finis par en crever à 27 ans c'est quand même qu'il y a des gros dégâts, non ?

La came. On la voit gronder Blake parce qu'il sniffe de la cocaïne. On ne la voit pas consommer, juste de la weed.

Toujours les bons sentiments : on ne va pas la montrer défoncée, en décadence totale, au fond du trou.

(Ou il est impossible dans un tel film d'écorner l'image de feue Amy. Du coup, ça manque de nuances de gris.)

Enfin, quel drôle de parti pris. Il ne s'agit pas de faire une campagne de prévention vis-à-vis des diverses dépendances, mais de raconter un peu plus sincèrement la vérité.

Ne serait-ce que montrer ses concerts foirés parce qu'elle était pétée sur scène, ce serait trop ? Pour amener une prise de conscience, ce ne serait pas mal — alors que la scène où elle demande à papa de l'envoyer en rehab, elle, n'a aucun sens.

J'ai bien conscience que jusqu'ici je ne dis que du mal d'un film auquel j'ai pourtant mis 5.

Je ne me suis tout simplement pas ennuyé, et Marisa Abela se sort plutôt bien de ce rôle impossible. Je veux dire qu'il y a du talent dans tout cela, c'est indéniable. Du rythme aussi : pour la bio d'une chanteuse, manquerait plus que ça. Il n'y a pas vraiment de temps morts ni de longueurs. Mais outre les défauts soulignés précédemment, le film souffre très nettement d'un scénario trop étriqué :

  • pourquoi se limiter au décor londonien, alors que la production de Back to Black, c'est aux États-Unis, et que ça aurait valu la peine de la raconter (comme le fait cet excellent documentaire d'Arte) ?
  • pourquoi ne pas parler davantage des conséquences délétères de la célébrité, qu'on ne voit évoquées qu'à travers ces meutes de photographes qui poursuivent Amy Winehouse dès qu'elle met le pied dehors ?
  • est-ce qu'axer ainsi tout le récit sur la relation passionnelle avec Blake ne lui donne pas le beau rôle, alors qu'il est au mieux ambigu, sinon arriviste ?
  • dans le même ordre d'idée, le côté bien réac du "vive la famille, il n'y a que ça de vrai", qu'incarne un bon papa gentillet mais un peu dépassé. Sûrement pas un type qui a plus exploité la notoriété de sa fille qu'il n'a su l'aider. Non mais.

Bon, je m'en tiens là, sauf à évoquer en passant ma déception de ne pas voir du tout Pete Doherty des Libertines — ni aucun autre artiste, d'ailleurs — dans le film, alors qu'Amy et lui étaient amis de défonce, à ce que je sache.

Bref.

Un bon spectacle, efficace, bien troussé, comme on demande aux biopics.

Mais une telle distance par rapport à la réalité, que le fond du propos est inconvenant, voire malhonnête.

(Ce n'est pas le seul biopic à encourir ce type de reproche, cf. Bohemian Rhapsody en 2018. Mais l'hagiographie est moins envahissante, à mon sens, le film existe un peu plus.)

Il paraît qu'il faut voir sur Amy Winehouse un documentaire de 2015, que ça vaut vraiment le détour : je ne l'ai pas vu. J'aimais bien l'idée, ici, de fictionner, de donner à voir cette espèce de Betty Boop, ou mieux, de chanteuse des années 60, choucroute et tout, échouée dans les années 2000. Il y a un peu de cela dans le film, qui hélas laisse un peu cet aspect de côté.

Enfin donc, 5, parce que je suis plutôt bon public. Mais moralement, je réprouve le manque d'audace voire de courage de la production.

Mathieu-Erre
5
Écrit par

Créée

le 28 avr. 2024

Modifiée

le 28 avr. 2024

Critique lue 17 fois

Mathieu Erre

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