Le 72ème Festival de Cannes continue à défeuiller son programme. Après Les Misérables de Ladj Ly, c’est au tour de Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles de s’ouvrir à nous. Une expérience foutraque et sans tabous qui fait confronter son féroce militantisme avec la violence sanguinolente de sa force de frappe.


Sous le signe de la dystopie, Bacurau est un petit village brésilien qui se voit disparaitre de la carte et qui voit sa localisation coupée de tout réseau téléphonique ou internet. En parlant de manière aussi frontale de la violence, de l’occupation territoriale, d’une certaine forme de domination américaine dans la culture, de la politique et de ses manipulations ou même en observant la sécurité d’un pays et le manque de liberté de celui-ci, il est indéniable que Bacurau fasse répercussion avec l’actualité et ait en toile de fond la situation électorale et politique du Brésil d’aujourd’hui.


Avec son médecin de quartier, ses prostituées et son petit magasin du coin, Bacurau présente dès lors un microcosme élégiaque, sensuel, baroque, bariolé, presque tout droit sorti d’un Jodorowsky période Santa Sangre notamment lors de cette séquence de commémoration d’un enterrement, mais avec une déclinaison naturaliste plus prégnante.


C’est presque la mise en scène qui fait tout le travail : ce cadre et cette luminosité qui font chatoyer le décor et qui nourrissent cette ambiance tombant petit à petit du folklorique à la peur viscérale. Dans cette petite région, à la faune et la flore foisonnantes se dessine un paisible mais miséreux quotidien : celle d’un Brésil des oubliés, celui qui n’est pas écouté ou même pire, abusé, pauvre et instrumentalisé à des fins électorales. Cependant, la peur se fait de plus en plus sentir jusqu’à la découverte d’une tuerie dans une ferme environnante, découverte qui va être le déclencheur d’une confrontation sanguinaire entre le village et ses « assaillants ».


Ce n’est qu’à partir de ce moment que Bacurau va changer de registre pour délaisser sa science démonstrative et descriptive pour faire naître un monde presque post apo dans les hautes herbes où la violence augmentera crescendo. Cette deuxième partie, sans doute moins poétique et sibylline dans sa faculté à créer un espace monde enivrant, dérive plus vers l’action pure et dure sans pourtant se dépêtrer de sa résonance politique : la survie de ce petit village, sa manière de fonctionner, le rapport presque jouissif à la mort et la façon dont il octroie sa liberté font demeurer tout un questionnement éthique et presque fantasmatique. Bacurau et Les Misérables, les deux films de la compétition dévoilés ce mercredi 15 mai ont le même flux : celui d’une politique en déliquescence, corrompue, prônant la surveillance et qui fait du combat armé, le dernier étendard de certaines possibilités civiques et citoyennes et de par ce biais, la matérialisation cinématographique de la montée en puissance des revendications politiques.


Mais alors que le film de Ladj Ly garde son enclos réaliste, le film de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles préfère quant à lui s’octroyer des facéties salutaires et iconiques allant du western ou la science fiction avec son ambiance lancinante, jusqu’au slasher et ses mises à mort gores (le personnage de Lunga). Parfois engoncé dans un faux rythme récalcitrant, cette ode à la solidarité et à la construction communautaire d’une identité n’en reste pas moins une réussite globale déstabilisante.


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le 28 sept. 2019

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