Je ne suis ni un grand fan, ni (de ce fait) un grand connaisseur de Godard et de son cinéma. Ma dernière expérience avec le bonhomme, Le Livre d’Images, fut désastreuse, et c’est toujours avec un peu de scepticisme que je me lance dans un de ses films.
Eh ben, par son aspect ludique, sa cinéphilie revendiquée, son jeu sur les codes du polar, j’ai pris vraiment un grand plaisir à regarder Bande à part.
D’abord, j’ai bien apprécié la façon qu’a Godard de faire un faux polar. En effet, l’intrigue est celle d’un film policier : deux jeunes gens et une jeune femme préparent le cambriolage d’une maison où se dissimule une forte somme d’argent. Seulement voilà, Godard prend ici un malin plaisir à déjouer les codes du polar. Les scènes habituelles de ce type de récit sont, en grande partie éludée ici. Le film nous montre deux hommes qui fricotent autour d’une jeune femme, les virées en voiture, les discussions au bar ou dans la cage d’escalier, les errances des personnages… Mais nous n’avons pas la découverte du magot, l’élaboration du projet, les repérages, tout ce qui constitue un film de cambriolage traditionnel. Une voix off, la voix de Godard lui-même, indique aux retardataires qui prendraient le film en cours, ces éléments qui n’ont jamais été montrés dans le film.
L’ambiance même du film n’a rien à voir avec celle d’un polar. Aucune tentative d’instaurer le moindre suspense ici, y compris dans la scène du cambriolage lui-même, qui est presque filmé comme une scène burlesque du cinéma muet. Sinon, nous avons la mélancolie des personnages, leurs flirts, des alternances de légèreté et de nostalgie…
Parfois il arrive que certains films ménagent des “moments suspendus” où l’action s’interrompt le temps d’autre chose… Eh ben, on croirait que bande à part est constitué exclusivement de ces moments suspendus et que l’action est presque toujours en suspens. Nous avons nos personnages au cours d’anglais (scène que Godard s’est plu à étirer le plus possible, au-delà du raisonnable), nos personnages en voiture, nos personnages au bar…


Jeu avec les codes du polar, jeu aussi avec les références. Bande à part est un film de cinéphile qui s’amuse à un certain citationnisme. Entre le western, le burlesque et la comédie musicale, Godard truffe son film de clins d’oeil et revendique l’influence de ce cinéma américain qu’il aime tant. Cela nous donne ce qui est sans doute la plus belle scène du film, une chorégraphie en plein bistrot, qui évoque inévitablement les comédies musicales.
Cet aspect ludique de la narration du film se retrouve tout au long du film. Ainsi, nous avons le running gag de la cigarette, qui marque le conflit des deux hommes pour la jeune femme ; nous avons même une minute de silence, en plein milieu du film. La voix off de Godard s’adresse directement aux spectateurs.
Tout cela donne un film plaisant à voir, un film drôle et mélancolique, inattendu, remarquablement bien interprété (Anna Karina est formidable en irrésistible nunuche). D’une virée criminelle dans la banlieue morne de Paris, Godard fait une oeuvre de cinéphilie ludique et assez audacieuse. Cela peut être considéré comme une certaine vanité, mais ce fut pour moi un agréable moment.

SanFelice
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Une année qui commence avec John Carpenter ne peut pas être une mauvaise année (films 2020)

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le 16 juil. 2020

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SanFelice

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