Un portrait touchant d'une jeune ado banlieusarde en pleine émancipation. Un film beau et mystérieux
Après les mémorables "Naissance des Pieuvres" et "Tomboy", Céline Sciamma nous livre un portrait touchant d'une jeune adolescente banlieusarde en pleine émancipation. Une approche pleine de tendresse et de compassion évitant tout jugement et à-priori, pour un film beau, mystérieux et dégageant une certaine fureur de vie...
Avec ce troisième long-métrage dans sa biographie, Céline Sciamma nous confirme son intérêt à dresser des portraits d'enfants ou de jeunes en passe de devenir adultes mais faisant fasse à certains obstacles dans leur quotidien leur empêchant d'être "eux-mêmes" et d'obtenir ce qu'ils veulent. S'intéressant souvent à des personnalités très spécifiques (une jeune fille ayant des sentiments homosexuels dans "Naissance des Pieuvres", une fille garçon-manqué dans "Tomboy"...), Céline Sciamma est non seulement parvenue à mener une étude sur la jeunesse (principalement féminine), mais également à attirer notre regard sur une certaine sexualité, plus particulièrement sur les barrières et les correspondances existantes entre les deux sexes. D'une manière générale, une certaine envie de confondre les sexes se dégage de la biographie de Sciamma, avec un intérêt spécifique pour les jeunes filles se faisant passer pour des garçons...
Ces éléments se retrouvent dans "Bande de Filles", un film nous livrant un portrait pour le moins réaliste de Marieme/Vic, une jeune adolescente noire de banlieue qui, après une rencontre avec une bande de 3 filles, va se libérer de l'emprise de son frère violent et commencer à profiter de la vie en se laissant influencer par ses nouvelles amies, ce qui va la mener à une certaine forme d'émancipation. Elle va peu-à-peu découvrir le premier amour puis devenir une femme "forte" ne se laissant plus dicter ses décisions par d'autres. Le contexte étant celui d'une banlieue où les habitants y sont parfois un peu rustres, nous suivons également l'évolution physique de Marieme, qui va perdre sa douceur féminine de jeunesse pour s'endurcir et acquérir un comportement plus masculin...
Avec une mise-en-scène à l'esthétique très belle, des musiques très dynamiques et des plans soudés aux corps des protagonistes et à leurs mouvements, Céline Sciamma parvient à traiter du thème de l'adolescence de manière très réaliste, nous livrant quelques magnifiques moments de vie, comme par exemple la scène de danse entre les 4 filles sur la chanson "Diamonds" de Rihanna. Ce qui est fascinant, c'est surtout le traitement qu'apporte la réalisatrice à ces séquences. Si la bande de filles se comporte par moments comme des racailles insupportables, ces mêmes filles nous paraîtront touchantes et mûres à d'autres moments, la volonté étant de nous montrer la véritable nature de ces personnages, qui sont avant tout humains! Dans cet ordre d'idée, l'approche de Sciamma, dans cet univers parfois brutal, se fait avec tendresse et compassion, évitant tout jugement et à-priori, nous délivrant un résultat plein de beauté et dégageant une certaine fureur de vie.
Pourtant, paradoxalement, si le portrait et l'approche s'avèrent réussis, Sciamma ne nous plonge pas directement dans la tête de sa protagoniste, dont nous restons étonnement distants. A part suivre le quotidien de Marieme et découvrir ainsi son évolution, nous ne savons au final pas grand chose de cette mystérieuse adolescente. Et c'est certainement la raison pour laquelle "Bande de Filles" est bien plus complexe à décortiquer que "Naissance des Pieuvres" ou "Tomboy". Dans ses précédents films, Sciamma nous définissait un personnage avec une objectif particulier, défini par un désir (l'amour envers quelqu'un), une personnalité (une fille garçon-manqué) et bien d'autres éléments.
Dans "Bande de Filles", l'objectif est beaucoup moins discernable, car la protagoniste évolue vers un avenir incertain et que la mise-en-scène ne se concentre pas sur un aspect de cette évolution, préférant justement englober l'ensemble des changements qu'elle rencontre, de manière quelque peu dispersive. Aussi, pendant un long moment du film, nous ne savons pas si le récit va se focaliser sur sa relation avec ses trois amies, sur son premier amour, sur sa relation avec son frère ou encore sur son avenir qu'aucun objectif ne permet encore de déterminer... Car oui, "Bande de Filles" est au final plus une succession de moments de vie d'une jeune adulte en devenir qu'une histoire à part entière. Est-ce une volonté de mise-en-scène, une erreur? La fin elle-même peut-être sujette à questions: aurait-elle du être coupée plus tôt, durer plus longtemps? Si ces parts d'ombres dans le résultat fini nous questionnent sur sa véritable qualité, "Bande de Filles" s'avère toutefois très réussi, agréable, porté par des jeunes actrices débutantes et ravissantes ainsi qu'un rythme entraînant agrémenté de quelques pauses permettant de souffler. Un film beau et mystérieux !