Sous couvert d'une comédie cocasse et familiale, la réalisatrice Greta Gerwig, figure marquante de l'ère post-MeToo à Hollywood, livre une vision acérée des travers de notre société contemporaine et de la brutalité des rapports humains.
A ce titre, son film intègre pleinement les enjeux capitaux du féminisme au XXIème siècle et la critique légitime de la dominance patriarcale. Une contribution active à un renouveau du cinéma hollywoodien et une confirmation supplémentaire qu'une brise de fraîcheur souffle enfin sur l'industrie après deux décennies dominées sans partage par les films de superhéros.
Pour autant, ce film éminemment politique, présente des problématiques majeures et pour le moins troublantes.
Empruntant la forme d'un spectacle coloré et frétillant très réussi, le film soutient en réalité une thèse d'une radicalité folle avec le constat terriblement violent de l'impossibilité, dorénavant, pour les femmes et hommes, de pouvoir faire société ensemble.
Pour appuyer cette approche, Greta Gerwig use volontairement de personnages caricaturaux, balourds, absurdes et bêtas.
Des hommes niais et insipides se muant en vulgaires machos, buveurs de bières asservissant les femmes et cherchant continuellement à les dominer.
Des femmes superficielles, guillerettes, influençables à souhaits et prêtes à tous les machiavélismes pour arriver à leurs fins.
Dans ce grand jeu de massacre Greta Gerwig distribue les scuds et tout le monde en prend pour son grade. Amateurs de The Godfather de Coppola, joueurs de guitare en milieu bucolique, père absent, adolescente malléable, PDG écervelé, homo opportuniste, femmes enceintes, petite fille sadique martyrisant des poupées, surfeur abruti, Margot Robbie (oui, oui, il y a une incursion à ce propos)...
Qui que vous soyez, vous jouez un rôle actif dans cette société lourdement dysfonctionnelle.
Sur cette base, Greta Gerwig ne cesse de décrire pendant les 1h54 de Barbie des rapports humains pour le moins conflictuels voir carrément haineux. Plus d'amour possible. Plus de compromis ou d'accommodement. Chaque individu dans son couloir d'eau reste braqué sur ces problématiques existentielles et semble se moquer littéralement de faire un pas vers l'autre. Les Ken se détestent. Les Barbie se scrutent, se formatent et se jugent (voir la place de la Barbie-bizarre dans l'intrigue). Allan tente d'exister tout au long du film mais reste inutile, invisible aux yeux des autres. Gloria et Sasha n'existent principalement que par la description d'un conflit mère-fille larvé. Les PDG ne sont habiter que par l'envie d'exercer leur pouvoir néfaste sur les autres. Les pères n'existent pas. Enfin, les Barbie et Ken se trouvent incapables de vivre harmonieusement ensemble.
Quelque que soit la forme et le modèle de société emprunté (matriarcat de Barbieland, patriarcat du monde réel, retour à Barbieland...) les divergences sont trop profondes étant donné nos antécédents communs. La réconciliation est impossible.
Symboliquement Barbie finira par repousser un Ken empoté et l'insistera à devenir un insipide et inutile Kenough (dont vous pouvez acheter le sweatshirt sur les Internet).
Si les hommes ne cherchent qu'à dominer les femmes depuis la nuit des temps, alors il faut apprendre à vivre sans eux. Et eux sans les femmes. Kenough. Tels semble être la doctrine finale avec un flackback glorifiant ce qui semble être le seul et dernier îlot d'humanité à défendre viscéralement, à savoir le lien d'amour fusionnel entre une mère (Ruth Handler) et son jeune enfant.
Avec plus d'un milliard de dollars générés dans le monde, ce film matriciel sonne comme un grand coup marking pour la production Mattel qui n'a pas hésité à s'emparer sauvagement de ces questions particulièrement sensibles et clivantes pour faire du profit. Jackpot !
Greta Gerwig bras armé de ce processus pour le moins sujet à caution, en profite pour livrer une proposition radicale, lancer un sacré pavé dans la mare. Greta Gerwig use ainsi de la puissance et de diffusion du cinéma hollywoodien pour délivrer un message à la fois puissant, sans nuance et vertigineux.
Arrivera t on à vieillir ensemble ?