1991 : la palme d’or du festival de Cannes est décernée à un film des frères Coen, quoi que si l’on se fie à la distribution, le film a été réalisé par Joel seul, Ethan apparaissant en tant que producteur. Quoi qu’il en soit, la croisette valide le talent de ces géniaux ré-inventeurs des formes du cinéma classique, ici le film-noir.
Des murs qui transpirent, au tintement des tuyauteries d’évier, les couloirs désespérément longs et déserts d’un hôtel lugubre, on a envie de murmurer « Redrum »…, les gémissements émanant des cloisons, un climat purement Kafkaïen. Tous ces éléments créent une ambiance telle, que l’on ne peut que se souvenir du Barton Fink des frères Coen bien des années après.
Un duo d’acteurs géniaux, avec un John Turturro qui incarne à merveille le petit auteur névrosé en manque d’inspiration, Joseph K is back. Quand l’immense carcasse du génial John Goodman – je m’autorise un petit aparté, pour dire qu’il fait partie de mes deux, trois acteurs favoris -, apparait sur le palier d’une porte, dans le rôle d’un personnage jovial et empathique qui s’avère être le mal incarné. Rarement le mal n’aura été aussi bien interprété.
Le reste du casting n’est pas en reste, avec l’apparition d’un Steve Buscemi, encore tout jeune, dont la tronche de gargouille éminemment cinématographique se suffit à elle-même, Jon Polito vu dans Miller’s Crossing, mais également Michael Lerner dans le rôle d’un producteur de cinéma qui n’est pas sans rappeler Howard Hughes… - la référence est toujours factuelle chez les Coen’s, mais sans jamais faire dans la citation facile – Tony Shalhoub, Richard Portnow… du quatre étoiles quoi.
Au-delà de l’aspect purement sérial, ce film-noir à l’ambiance suffocante, n’oublie jamais de faire quelques références non masquées, par le prisme génial de l’art du détournement et l’abstraction n’en est que plus jouissive. Ici on parle du monstre Hollywoodien qui se repait du créateur, ce Léviathan artistique qui dévore l’auteur. Ce dernier tentant de surnager pour éviter de suffoquer dans cette Babylone clinquante dont il ne sert qu’à des fins d’agrément.
Revu, presque trente ans après sa première découverte, j’avais eu l’occasion de le visionner en salle à l’époque de sa sortie, et ensuite lors de son passage télé sur canal +, j’en avais d’ailleurs fait une copie VHS, je l’ai encore plus apprécié avec ce long recul. Tellement ce film possède différents niveaux de lecture. Du sérial pur et dur qui s’assume, du cinéma ultra-référencé qui « s’inspire de » mais ne fait jamais dans la citation, ou seulement par un génial détournement, une mise en scène remarquable, tant dans le visuel que dans la construction méthodique des plans, et John Goodman, définitivement l’un des acteurs les plus géniaux de l’univers.