Éclats urbains peints au blanc sur des cartons charbonneux, skylines découpés d’ombres et de pourpres : contre-pied génial du trait noir sur la page blanche, comme son masque noir percé par un regard d’un blanc froid, ce Batman-là évolue dans un univers habité par des ténèbres dont les contours esquissés par quelques lignes lumineuses dessinent une Gotham hors du temps et couverte par des cieux vermillon. Comme si l’enfer était là-haut.

Une cité des limbes, ses immeubles comme d'immenses stèles, cimetière géant de monolithes massifs et vertigineux, héritiers de l’expressionnisme allemand, population vêtue d’imper et coiffée du feutre cher au genre noir, ambiance brumeuse et délicieusement old-school.

Le Chevalier Noir y est alors une gargouille damnée, personnage immuable au centre de tous les chaos, spectateur passif, pris dans le tourbillon des drames et des corrompus. Noble, âme maudite, monstre, malade, ce Batman – auquel Richard Darbois apporte en VF sa voix sombre – est enfin ce héros fragile, chevaleresque et silencieux, lorsqu’il se confronte à son double spectral, son fantasme d'ultra-violence. Encore une fois, le film s’applique à dépeindre respectueusement son héros comme il construit son décorum : toujours dessiner de lumières sur feuille d’ombre.

Dans son format long, ce métrage arrive en apothéose de la merveilleuse série animée qui a traversée mon enfance. Plus ample, moins resserré, le film se laisse bercer par une douleur latente, une forme de tragédie sereine, un romantisme sombre, laissant les tourments et la mélancolie de ses personnages en filigrane, dans les murmures de sa superbe musique ou l'immobilité de son héros.

Il n’en reste pas moins d’une densité thématique ahurissante le long d’un fil narratif admirablement tenu et sur lequel s’entrelacent d'anthologiques séquences : le superbe générique sur le requiem sépulcral de Shirley Walker, le drolatique et hallucinant interrogatoire d'un politique pourri complètement hilare par Batman, ces flashbacks comme des trouées lumineuses, qui, déjà avant Batman Begins, s'intégraient parfaitement dans la structure de l'histoire pour nous proposer la meilleure des origin-stories du héros jamais portées sur écran, la violence surprenante des meurtres du fantôme, Batman et son nemesis s’affrontant tels deux titans dans une ville miniature,...

C’est peu dire que j’adore ce film que j’ai tant de fois rejoué avec mes figurines après mes exos de Bled et mes poêmes-par-cœur, entre le goûter et le souper du soir. Enfant, en allant me coucher, je l’avais encore dans le cœur, ce batman-là, quelque part entre les deux Burton. Je crois qu’il y est toujours.
Omael
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le 6 juil. 2014

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Omael

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