Le postulat de base est alléchant : début du millénaire, le Japon sombre dans une situation chaotique et la jeunesse nationale se révolte face au pouvoir en place dans un contexte social et économique pour le moins préoccupant (on annonce ainsi un taux de chômage de 15% dans le carton d'ouverture du film). Face à cette situation les autorités mettent place le principe du Battle Royale : chaque année une école est sélectionnée et l'une de ses classes est envoyée sur une île afin que ses membres s'entretuent jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un (si ça vous évoque quelque chose c'est normal). C'est typiquement le genre de pitch dystopique hyper casse-gueule qui peut s'avérer aussi passionnant en théorie dans ce qu'il laisse à espérer en termes de proposition de cinéma politique que déceptif sur écran une fois mis en scène. Le début du film montre par de courtes scénettes le désespoir chronique qui semble toucher l'ensemble de la population, des parents aux enfant (famille disloquée, avec départ de la mère puis suicide du père) en passant par les professeurs (classes vidées de leurs élèves, agressions dans les couloirs du lycée, etc.). Ce court ensemble, une introduction de quelques minutes, permet de se placer dans le contexte décrit, réussissant à immerger le spectateur dans son ambiance délétère de tristesse sociale. Or, l'espace d'une demi-heure (celle qui suit), le film se révèle a priori con, ridicule et grotesque dans sa manière d'enchaîner massacres en tout genre et effusions de sang assez gratuitement avec un jeu d'acteur théâtral et (très) approximatif et on redoute alors surtout les 1h00 restantes si celles-ci continuent sur cette même dynamique. Et c'est la cas. Mais curieusement la mayonnaise réussit quand même à prendre. Disons que le cinéaste assume jusqu'au bout son délire, se fixe une ligne directrice et reste fidèle à son parti pris reposant sur l'expression lyrique de la violence comme moyen de développer une pensée cinématographique (à ce titre, le Kill Bill de Tarantino lui devra certainement beaucoup quelques années plus tard, comme à d'autres). Autrement dit encore, il croit tellement à ce qu'il filme qu'il réussit malgré tous ses défauts à rendre son film étrangement émouvant en dépit (ou grâce à) la grossièreté de sa mise en scène qui réussit à atteindre quelques pics extatiques assez savoureux qui prennent forme dans l'assemblage des moyens cinématographiques que le cinéaste met à sa disposition, entre la verdure de l'île, les caprices du climat, les ruines et locaux des propriétés qui s'y trouvent et la manière de faire évoluer géographiquement et temporellement ses personnages sur tout cet ensemble, construisant et déconstruisant des dynamiques de groupe, les regroupant, les isolant les uns des autres pour enfin leur permettre de se retrouver dans la construction de collectifs aussi fragiles que virulents face à l'individualisme fascisé oppressant et destructeur qui les entoure. Ce sont alors de multiples tableaux que le réalisateur dépeint au travers de scénettes aussi pathétiques que tragiques : ici un groupe de filles amies qui tombe dans la folie meurtrière, là un couple qui se suicide, se refusant à participer à un jeu aussi sinistre, ailleurs un autre qui tente tant bien que mal de survivre, etc. Ainsi, l'ensemble, d'abord pénible, prend rapidement les contours d'un film politique atypique enrobé de cette mélancolie nippone si particulièrement reconnaissable, accentuée par les multiples flashbacks et citations qui viennent mièvrement ou gracieusement - c'est selon - suspendre la narration. Le film aura peut-être annoncé (ou plutôt inspiré), ce qui sera la nouvelle vague coréenne dans le pays voisin, mouvement cinématographique qui donnera naissance à de nombreux films aussi outranciers dans l'expression lyrique du cinéma qu'ils proposeront que l'est cette série B japonaise qui prend à bras le corps les tourments d'un pays face à ses propres angoisses, comme l'ont fait bon nombre de films de l'époque issus de l'archipel asiatique d'extrême orient (les films de Kiyoshi Kurosawa en tête de liste qui, eux, auront opté pour une voie radicalement opposée : celle de l'épure comme moyen d'expression cinématographique de l'épouvante qui s'abat sur une société individualiste - Kaïro est à son niveau un classique du genre).

Kahled
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le 24 nov. 2018

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