Enfin le voilà, le nouveau film d'Ari Aster sur les écrans français. Après les claques Hérédité et Midsommar, qui sont devenus de bons succès critiques et publics, et dans le temps des films cultes des cinéphiles de genre, dignes représentants de l'Elevated horror façon A24, Aster s'implique longuement dans un nouveau projet.

D'abord nommé Desappointment Boulevard, nommé comme un "seigneur des anneaux juif" par le réalisateur lui- même, avec une première version de près de 3h30, revu et corrigé par A24, et un Joaquin Phoenix se donnant corps et âme dans le projet, Beau is afraid semblait aux premiers abords un film très intéressant. Avec Peele, Eggers, David Mitchell, Flanagan (et bien d'autres), fer de lance d'une nouvelle génération de réals de genre qui veulent transformer l'horreur et le cinéma (je pense aussi aux frères Safdie), Aster a aussi une grosse réputation, celui du jeune prodige cinéaste qui a signé deux premières oeuvres très remarqués.

A son troisième film, grosses attentes. A24 met le paquet, un budget très confortable de 35 millions de dollars, une grosse star, de seconds rôles très solides, et des décors vraiment spacieux. Ari Aster ne fera pas beaucoup de promo, laissant le mystère tout entier. Autour de lui depuis le covid se créé une aura de "réal culte", c'est donc en grand artiste démiurge que tout son public est allé le voir.

Pour ma part, j'ai été incroyablement surpris et envoûté par le film, mais aussi un peu partagé. On en ressort assez fatigué de la séance, tellement elle peut être immersive lorsqu'on rentre dans le délire du réal. Chez Ari Aster, les mêmes thèmes reviennent de film en film : maîtrise visuelle et sonore incroyable, cadrages parfaits d'une beauté sidérante inspiré de Kubrick, histoire alambiqué fellinienne et lynchéenne d'une malediction avec un personnage principal qui subit son épopée. Mais là où Hérédité et Midsommar avait une histoire qui se tenait, Beau is afraid est un songe mental qui se transforme en odyssée mi- comique mi- horrifique mi- angoissante et malaisante.

Le film est donc un saut dans le vide pour Aster, il n'avait pas décidé de faire un film multi- genre très riche et dense, une sorte de tragédie grecque filtré par un trip halluciné, coupé en plusieurs chapitres comme un roman ou une pièce de théâtre. On a la affaire à un cinéaste de grand talent qui prouve à quel point il est inventif visuellement et d'une créativité sans failles.

La première heure est d'ailleurs exemplaire : d'une constante angoissante sourde et d'une anxiété palpable, Beau is afraid dévoile des trésors de malaise comique, d'absurdité géniale, et d'une horreur quotidienne qui surgit à tous instants. Certaines scènes restent marqués à jamais dans la mémoire du spectateur, tant elles sont aussi burlesques, grotesques qu'anxieuses. Gilliam n'est jamais loin.

La seconde heure est elle- aussi grandiose : s'embarquant dans d'autres parties de la psyché tortueuse de Beau, certaines scènes touchent au sublime de beauté, d'autres sont de petites scénettes comiques sympathiques, d'autres sont des trésors de malaise et d'angoisse pure. Lynch, Haneke, ou encore Fellini n'auraient pas renié de tels moments.

La troisième heure est donc celle qui divise le plus : on voit déjà où le dénouement va allé, malgré encore un huit- clos fantastique très bien géré. Certaines scènes sont à glacer le sang, et d'autres une franche rigolade totalement perché. On voit bien que Polanski a bien été étudié.

Formidablement bien réalisé, et bien interprété par des acteurs tous habités par leur rôle, une musique très crispante, et une maîtrise totale. La mise en scène au couteau, la photographie fabuleuse, de même que les lumières sont superbes. Le montage nous prend souvent par surprise, et nous emmène dans l'univers le plus barré vu cet année aux US.

Beau is afraid nous parle de beaucoup de choses autour de Beau. Cependant, on ne que remarquer qu'il est beaucoup trop long, et que A24 aurait pu largement couper 20 à 30 minutes du film. La gestion d'une longue descente aux enfers d'un loser qui a peur, totalement névrosé, et qui tente de s'échapper des griffes de sa mère, il n'y a qu'à remercier Phoenix pour sa performance absolument incroyable.

Il n'y a qu'un pas entre le navet et le nanard, et celui- là navigue souvent entre les deux. Ce sera donc le grand film malade de Aster, Beau is afraid, une longue odyssée bizarroide, entre comédie, drame, horreur, et fantastique. Un pari risqué fascinant, voire très risqué car quasiment expérimental et in- marketable, qui pourrait devenir un film culte avec le temps. J'ai hâte de voir Aster sur d'autres projets plus resserrés, car un délire hallucinant comme celui- là divisera et pourrait entérer la carrière d'un des plus prometteurs cinéastes de son temps.

So long, Ari. L'expérience de cinéma fut incroyable. On attends le prochain délire avec impatience !

Mathieu_Renard
8
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le 22 mai 2023

Critique lue 17 fois

Matt  Fox

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