A bien des égards, Before Sunset est un film assez peu aimable, difficilement défendable.

C'est l'histoire de Jesse et Céline qui se sont aimés un soir d'été viennois, follement, passionnément, brièvement, et puis qui se sont perdus de vue pour se retrouver des années plus tard, le temps d'une après-midi ensoleillée à Paris, qui sera passée à contempler les ruines de cet amour mort-né et à tenter de rattraper la fuite inexorable du temps... Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas ici d'avant-garde cinématographique ; parler d'audace ou d'originalité scénaristiques serait, dans le meilleur des cas, un brin enthousiaste.

D'autant plus que Linklater, s'il n'est pas manchot, n'est pas non plus le plus grand des metteurs en scènes. Esthétiquement pauvre, composé essentiellement de champs/contre-champs pantouflards et lisses, le film est en revanche joliment photographié – comme pourrait l'être un spot publicitaire pour un yaourt minceur... A priori donc, pas grand-chose qui pourrait justifier un quelconque intérêt pour une œuvre trop propre pour être cinématographiquement pertinente ; et pourtant, il s'agit bien là d'un des plus beaux films de la décennie passée.

Les dialogues tout d'abord, un des points forts du film, un de ceux qui saute tout de suite aux yeux lors d'un premier visionnage, et qui enchante sans trop d'effort les oreilles inattentives et les esprits indulgents. On tremble pendant la première demi-heure, Linklater semblant nous ressortir la même logorrhée verbeuse qui avait fait sa gloire dans les '90s, à savoir de la philosophie de comptoir à la sauce new age, aussi ornementale qu'indigeste. Sauf que voilà, tout cela ne dure qu'un temps, car ces anecdotes futiles et dérisoires ne sont que des façades, des cartes de visite que s'échangent deux amants n'ayant pas encore appris à faire confiance à l'autre et cachant leurs vagues à l'âme dans un torrent d'inanité, et qui se tarira à mesure que la conversation se fera plus introspective, moins leste. Comment la parole cesse d'être un masque pour devenir enfin vraie et dénuée d'artifice, voilà une des belles pistes de lecture offertes par le film, une possible parmi d'autres, mais une de celles dont on fait le tour après quelques visionnages seulement.

Non, ce qui me fait inlassablement revenir vers Before Sunset, ce sont Julie Delpy et Ethan Hawke, ses deux acteurs touchés par la grâce et dont la subtilité du jeu ne cessera de m'émerveiller. Il faut les voir dans ces plans, hautement rohmériens, durant lesquels celui présent dans le champ aura laissé la parole à l'autre, il faut les voir exprimer dans un mouvement de sourcil, un léger frémissement des lèvres ou un geste de la main droite aussi spontané que prestement réprimé toute la vie antérieure de leurs personnages, toutes les émotions ressenties dans un millième de seconde par Céline et par Jesse...

Et puis bien sûr il y a cette dernière séquence, l'une des plus bouleversantes de ces dernières années, une des celles dont je ne percerai sans doute jamais le mystère, et qui hante mon imaginaire cinéphilique avec le même pouvoir de fascination que les ronds de jambes de Gene Kelly ou les travellings de Max Ophuls.

Alors oui, l'amour que je lui voue est sans doute démesuré, et mon jugement biaisé par des années d'adoration. Mais en même temps, jamais aucun autre film ne m'a fait et ne me fera aimer autant le cinéma que celui-ci.
Garrincha
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le 2 janv. 2013

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