Sur nos écrans, les films islandais se font rares, et il serait dommage de considérer chaque sortie comme un simple effet de curiosité ou « d’exotisme ». Car il s’agit bel et bien d’un cinéma à part entière, levant le voile sur un pays, un univers à découvrir, une culture. Il en fut ainsi en 2003, lorsque j’ai découvert « Noi albinoi » en parfait décalage avec la production européenne classique, surprenant, caustique et terriblement attachant. « Béliers » sorti en grandes pompes grâce à son Prix de la section Un certain regard à Cannes cette année, l’est tout autant, voire beaucoup plus, et se s’installe avec beaucoup d’humilité mais confortablement parmi les grands films de l’année 2015.


Gummi et Kiddi, deux frères ennemis et voisins ne se parlent plus depuis 40 ans. Ils s’occupent chacun des deux exploitations familiales, en parfaite concurrence, élevant leurs moutons. Jusqu’au jour où une épidémie de « tremblante » va venir bouleverser l’ordre des choses.


Rarement le lien fraternel, qu’il soit défait ou non, n’a été abordé avec autant de justesse et de force. Gummi et Kiddi ont beau vouloir s’ignorer, s’agresser, ils resteront à jamais les deux gamins de la photo, assis côte à côte sur le dos d’un cheval mené par leur père. « Béliers » fait écho au temps qui passe, injuste, irrémédiable mais dont l’essentiel demeure, pouvoir compter sur l’autre. Et cet impayable retournement de situation qui fera du fort, le faible et vice versa est ici magnifique, porté par cette symbolique du cycle de vie qui progressivement tout au long du film s’inverse et est conforté par la poignante scène finale.


Extrêmement bien pensée, écrite et filmée, cette œuvre essentielle s’appuie sur un contexte social en crise, celui des « petits » éleveurs en milieu rural excentré (réflexion identique portée par Kontchalovski dans « Les nuits blanches du facteur »), qui survivent bien plus qu’ils ne vivent, sans pour autant ne rien regretter. Cette vie rustique, mais malgré tout satisfaisante, ne tient qu’à un fil ténu, et tend à disparaître peu à peu, épidémie ou non. Gummi et Kiddi dans leurs contrastes, sont les ardents défenseurs, et sans doute les derniers, de cette culture, de ce mode de vie. Ils ne demandent qu’à continuer… à fêter leurs victoire à l’élection du « meilleur bouc », se préparer un festin de Noël (dans des circonstances bien particulières disons-le), s’attacher à un troupeau dont la race fait leur fierté… bref que tout soit comme avant… et pour longtemps !


On ne peut qu’être admiratif face à la situation, et aux actes de résistances que ces deux là lui opposent. De cette fausse haine, si pleine d’amour et de compassion, Gummi et Kiddi sortent grandis. Ils mettent à mal notre conscience du trop tout de suite, et nous donnent une belle leçon de vie, aussi robuste, affectueuse et revigorante qu’une étreinte de survie sous la neige.

Fritz_Langueur
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le 16 déc. 2015

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