Bérénice
6.7
Bérénice

Film de Raoul Ruiz (1983)

C'est l'adaptation d'une des pièces les plus chiantes de Racine (auteur que je n'aime pas, tout en reconnaissant sa maîtrise formelle, à cause de son apologie de la passion hystérique). Bérénice doit épouser Titus, nouvel empereur, et elle sait qu'Antiochus, roi de Cappadoce, était amoureux d'elle. Mais Titus, soucieux de respecter les convenances romaines, renonce à épouser Bérénice et la renvoie. Bérénice s'y résoud, et demande à Antiochus de renoncer à toute velléité de la reconquérir. Tout le monde est malheureux, soi-disant pour le bien commun. Stupide.


C'est un film fauché, dans un noir et blanc qui m'évoque Cocteau. Je l'ai vu en salle Jean Epstein à la Cinémathèque, en présence d'Anne Alvaro et d'un membres de l'équipe de tournage, ce qui était très instructif. On croyait en effet ce film perdu, mais une copie en a été retrouvée et restaurée par la Cinémathèque. Ruiz voulait au départ monter la tragédie de Racine en pièce, puis a renoncé à l'idée et a tourné cette adaptation dans une villa de Saint-Cloud au style néoclassique . L'équipe de tournage, en comptant les acteurs, ne dépasse pas la douzaine de personnes.


L'idée de départ de Ruiz était que Bérénice, jouée par Anne Alvaro, dialogue avec des personnages en ombres chinoises. C'est ce qui se passe au début, ce qui donne des plans très oniriques, quoique la diction des acteurs soit étrange, avec des pauses bizarres (d'après Anne Alvaro, Ruiz voulait une diction "impressionniste"). Les costumes sont 1900. On voit donc des silhouettes se découper, selon des dialectiques d'écho ou d'opposition, sur des colonnes, dans des halls, sur des murs de couloir, dans des embrasures de porte, et Bérénice passer au milieu, les yeux hagards, provoquant parfois leur disparition dans l'ombre. Mais à l'acte III, cela change, car on voit Titus et Antiochus en chair et en os : la silhouette de l'empereur se découpe en contre-jour et en contre-plongée sur le palier d'un escalier à double-volée. Il y a beaucoup d'expérimentation visuelle, très stimulante, notamment au niveau des surimpressions : une bouche se découpant sur un livre ; la figure de Titus superposée trois fois (un profil et un visage de face graves et monolithiques, et un trois-quart dévoré par la passion). Le son n'est pas beau, et cela semble délibéré : réverbération, éléments de son ambiant. Il y a aussi de la musique, assez discordante. Et des trucages intéressants : Bérénice dans un miroir, alors qu'on la voit à côté, dans une pose différente. Des statues et des acteurs recouverts de draps, comme des fantômes.


Tout cela est très intéressant, mais manque un peu d'autodiscipline, on a l'impression que Ruiz se disait : bon, quelle trouvaille je pourrais ajouter que je n'aie pas encore mise dans les plans précédents ? Apparemment il a utilise des maquillages de couleurs différentes avec Anne Alvaro pour que son visage change d'expression sans bouger, mais je n'ai pas réussi à identifier le plan dont elle parlait.


C'est donc dépouillé mais riche en trouvailles visuelles. En revanche le texte de Racine est débité dans un registre assez saccadé, un peu monocorde, qui fait de ce film un film d'art et d'essai assez limite, idéal pour tester le degré d'ouverture à l'expérimentation de votre entourage.

zardoz6704
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le 6 mai 2016

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