Berlin 1885, La ruée sur l'Afrique est un documentaire fiction de Joël Calmette produit pour Arte.
Le film mêle de manière assez artificielle - comme la plupart de ce type de docu-dramas - des reconstitutions historiques assez empesées et didactiques et quelques brèves interventions d'historiens spécialistes de la question.

26 février 1885, à Berlin, au terme de quatre mois de négociations féroces et indignes, les plus grands diplomates européens et notamment allemands, belges, hollandais, portugais, français et anglais se sont partagé le continent africain, sans aucune logique géo-politique autre que d'avancer des points stratégiques particulièrement commerciaux au strict bénéfice de ces pays européens en quête de richesses et de grands espaces manquant à leur "petits" pays, le tout sous couvert de philanthropie ou d'utopies hypocrites et racistes.

Et dans le pire mépris des populations africaines et sans se soucier d'aucune logique interne au découpage du territoire. Mais surtout avec un racisme paternaliste peu étonnant à l'époque, mais aujourd'hui parfaitement révoltant, notamment dans la hiérarchie entre les différentes races de "nègres" et leur "évidente" infériorité raciale face à l'homme blanc.
Le tout s'accompagnant d'études et de théories scientifiques de hiérarchisations des humains afin de légitimer la colonisation, "malgré eux mais pour leur bien"... Niant de fait toute forme de civilisation et de culture africaine.

D'un strict point de vue historique, à l'heure ou l'Afrique paye encore le lourd tribut de ce découpage sauvage et du pillage qui s'en suivit et qui perdure aujourd'hui encore, le documentaire est passionnant et salutaire. Il montre aussi l'horreur qui s'en suivit et les millions d'hommes, femmes et enfants africains qui paieront ces accords de leur souffrance et de leur vie.
Il trouve même une résonance étonnante dans les révolutions actuelles où les populations du Maghreb et du Moyen-Orient, notamment, tentent de reconquérir leur autonomie et la démocratie et où l'occident continue de manière assez obscène à faire ingérence dans les affaires de ces pays avec parfois de vieux relents de colonialisme.

D'un point de vue cinématographique, en revanche, la forme est vraiment très maladroite et vraiment gênante. La reconstitution d'époque est fortement amidonnée et il est très difficile pour Joël Calmette de donner vie à ces interminables négociations diplomatiques autour d'une table.
Même les acteurs ont du mal à défendre le projet, se contentant souvent d'annoner, de déclamer, de hocher la tête avec des airs sentencieux et entendus et ils peinent tous à convaincre. Pierre-Loup Rajot et Carlo Brandt sont pourtant d'excellents acteurs mais que peuvent ils faire dans une telle évidente absence de mise en scène. L'immense Jacques Spiesser, lui, est carrément ridicule en Chancelier Bissmarck...

A la décharge du metteur en scène, il est évident que l'époque empêche l'introduction de documents d'archive et qu'il serait difficile de ne faire reposer le doc que sur des rapports d'historiens. Mais les répétitifs et longs plans sur la carte d'Afrique montrent son impuissance à dépasser un aussi pénible didactisme.
Néanmoins, quelques idées de mise en scène auraient été salutaires pour sauver l'affaire car le documentaire se doit comme tout film d'avoir l'ambition de faire du cinéma et non seulement un récit historique.

En l'occurrence, la sortie encore récente du sublime et puissant Vénus Noire, d'Abdellatif Kechiche fait beaucoup d'ombre à un tel produit dont la raideur toute télévisuelle saute aux yeux et le film de Kechiche en disait tout autant avec un talent bien plus éclatant sur l'appropriation des territoires autant que des corps étrangers (ici la "Traite des nègres").

Car ce qui manque le plus à ce Berlin 1885, c'est une vraie résonance dans l'Afrique d'aujourd'hui et dans l'esprit raciste et colonialiste encore vivant.
Et c'est bien là le plus grand défaut du docu-drama de Calmette: il montre l'exclusion totale de l'Afrique dans la décision de son sort... certes, mais il ne semble pas chercher à remettre l'Afrique et les africains au cœur même de son film.
Quid des conséquences de ce partage, notamment pendant les guerres et également aujourd'hui...
Nada sur l'esprit colonialiste toujours vaillant chez nos gouvernants actuels, selon l'état des richesses du pays à "défendre"...
Et la parole n'est quasiment jamais donné aux africains eux mêmes, à l'exception du passionnant Achille M'Bembe de l'université de Johannesburg qui intervient malheureusement fort peu.

Le film ne passionnera sans doute que des enseignants d'Histoire ou des étudiants cherchant à en savoir davantage sur cet aspect fort méconnu de notre histoire, car il offre un récit très complet de ces petits arrangements avec l'Afrique, des difficultés de l'abolition de l'esclavage en Europe et il ne vaut d'ailleurs que par cette aspect didactique et par la mise à jour de cette conférence sur l'Afrique dont je ne savais rien.
C'est bien peu, mais c'est déjà ça...
Foxart
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le 11 août 2014

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