Des fois, la nullité d'un film lorsqu'on le regarde, l'oeil torve, avachi dans un fauteuil décrépi d'une salle peu glorieuse et peuplée de quelques énergumènes pas vraiment engageants, complètement atterré devant le manque d'intérêt suscité par ce que le voit, est un bon prétexte à divaguer par la pensée, à se trouver des stratagèmes intellectuels pour se tenir éveillé, les yeux ouverts, pour finir coûte que coûte la séance et ne pas se faire l'affront de quitter la salle - sait-on jamais "c'est peut-être mieux après ?".

C'est ce que j'ai fait hier, pendant les trois quarts (oserais-je, "les neuf dixièmes" ?) de ce "Big Bad Wolves" assez irregardable et qu'on me promettait comme "le meilleur film de 2013 selon Tarantino", "un film délirant et totalement jouissif" et que sais-je d'autre encore. La première séquence posait déjà le ton : pas trop mal filmé mais pas subtil pour un sou, ce prologue tout en ralenti et musique tonitruante laissait présager le pire cinéma fauché qui essaie de mettre le paquet pour se surclasser et faire oublier ses défauts de financements (ce dont personnellement je me fous, le film peut être cheap au possible, l'assumer, et être brillant). Donc on se retrouve avec une scène de cache cache au fort goût de déjà vu, filmée de manière poseuse et recouverte d'une musique archi caricaturale et totalement envahissante.

C'est le premier défaut du film et ce qui m'en a sorti quasi immédiatement. Les mauvais choix artistiques. Une photo assez laide qui semble tout droit sortie d'un vulgaire téléfilm policier ou comique (ou les deux, c'est là que le bât blesse), une musique ratée et omniprésente, une mise en scène plate (ou faussement dynamique), un rythme abominablement lent (il ne se passe rien et les "rebondissements" sont tellement, mais tellement éculés ou sans intérêts) avec force moments de vide sidéral, et des comédiens archi caricaturaux qui ressemblent tous plus ou moins à des versions israéliennes de seconds couteaux hollywoodiens (c'en est terrifiant). On a donc le Steve Carell israélien et le pape mafieux quelque part entre Onofrio et Goodman israélien qui enlèvent et torture un type totalement insignifiant. Bon, passé le problème des choix artistiques vient celui des choix idéologiques.

Et comment dire ? Ce film est atroce. Ça se veut clairement un film postmoderne où la violence la plus décomplexée est désamorcée par un humour noir féroce et des situations absurdes à la limite du burlesque. Ça se veut cartoonesque. Ça se veut "tarantiniesque" (et le pauvre, mord à l'hameçon de la flagornerie visiblement). Ça se veut "film israélien sur un sujet casse-gueule puisqu'on va dénoncer les travers de la société israélienne avec humour." Bref ça se veut énormément de choses et ça n'en est rien, et parfois même le contraire. Un film israélien sur la torture qui essaie d'en faire quelque chose de drôle, d'absurde pour en tirer au final un message assez fin sur l'horreur et l'absurdité de la chose dans l'absolu, ça aurait pu marcher, mais il aurait fallu savoir comment l'écrire pour que ça tienne, parce qu'au final, on se retrouve avec l'équivalent d'un film limite premier degré qui porterait sur la Shoah et serait réalisé par la famille Le Pen. Grosso modo.

On se farcit donc d'entrée de jeu des séquences de tortures ou "d'interrogatoire musclé" totalement gratuites et où on assiste tristement à des tentatives de distanciation ou d'humour "à la Reservoir Dogs", alors qu'au final on a juste un type à priori totalement innocent qui se maraver la gueule pour rien par des pauvres connards. Donc déjà, le film me fout en rogne assez vite. Et c'est là que je commence à décrocher et à me poser la cruciale question :

"Pourquoi suis-je là ?"
"Pourquoi ai-je choisi ce film et pas un autre ?"

Les réponses abondent : un film -16 ans en VO dans ce cinéma, c'est pas tous les jours. Il va pas rester longtemps à l'affiche, d'ailleurs il est déjà dans une salle minable. Tarantino a aimé (la prochaine fois, méfiance.). Ça a l'air fun et on me promet des meurtres ultra violents, je vais avoir droit à un thriller poisseux et tordu avec des saillies humoristiques. Étrange moment où je prends conscience que ce qui m'a motivé à venir c'est la promesse de la violence et d'un spectacle un peu extrême, sans doute cathartique.

Plus étrange et douloureux moment quand je m'aperçois
1) que le film ne tient pas cette promesse d'emblée puisque les meurtres sont soit hors film soit hors champ
2) que c'est cette absence qui me chagrine le plus (suis-je un monstre pervers ?)
3) que la violence qui remplace celle que je souhaitais voir me débecte profondément, i.e. que je préfère voir des meurtres de petites filles sordides (les meurtres, pas le gamines, quoi que...) à un pauvre type avec marqué pédophile sur la gueule se faire latter par des policiers sans foi ni loi.

A chaud, les conclusions de ces pensées sont difficiles à tirer, mais je me console en me disant que de toute façon ce film est une bouse incroyable et que si ça continue je vais lui coller un gros 1 en rentrant.
Oui, pendant un très, très long moment j'y étais résolu.

Alors ça se traîne, ça visite des maisons vides chelou en faisant des blagues racistes sur les arabes de la région (aïe), ça joue mal pendant que la musique recouvre tout, ça joue à imiter les comédies policières trash américaines en beaucoup moins bon, ça laisse sous-entendre tout le temps que la pauvre victime de toute façon c'est vraiment le coupable parce que c'est marqué sur sa gueule, etc.

Mes yeux sortent lentement de leurs orbites et tentent de se faire la malle mais rien n'y fait, j'ai les nerfs (optiques) bien accrochés. Je ne cesse de m'indigner devant ce triste spectacle réactionnaire, ce vigilante dégueulasse comme même les américains n'en font plus, et j'assiste à la plus grave impasse idéologique qu'un film m'ait donné à voir depuis un moment.

Précisons que à chaque instant, je sais, je dis bien JE SAIS, que le film entend dénoncer ce qu'il montre pour renseigner sur l'horreur et l'absurdité de la torture, telle qu'elle est avérée dans son propre pays. Mais putain, je sais pas ce qui s'est passé dans le processus de création (ou de digestion) de cette merde, mais y a vraiment une énorme couille dans le potage au résultat final, et elle est sacrément dure à avaler. Bref, rapidement (ou plutôt non, au bout d'une heure de film d'un ennui tétanisant et complètement embarrassant), le film se retrouve dans la pire situation qui soit :
- si le pauvre type est innocent, alors on aura assisté à une succession de scènes de tortures gratuites et absolument répugnantes sans aucune écriture qui permette de rendre cela vraiment "engagé" ni même "drôle", et quelque part si ça avait été drôle ce serait pire parce que faire rire en torturant un mec innocent faut être vraiment sacrément doué pour que ça passe à l'as (au moins dans Reservoir Dogs ce sont tous des truands et la grande idée du film c'est que l'un deux est un flic infiltré, là on joue sur le point de vue, sur la perception du spectateur, sur l'ambiguité des images, sur le scénario bordel)
- si le pauvre type est coupable (comme semble le hurler le montre détail pas du tout subtil de ce film), alors c'est ignoble quand même parce qu'on assiste ni plus ni moins qu'à un film qui va juste légitimer l'usage de la torture (puisque vous voyez bien, ils avaient pas de preuves mais ils avaient raison !) et piétiner allègrement des choses comme la présomption d'innocence et l'habeas corpus.

Tu le sens mon gros méchant un ?

Oui et non. Déjà je vous vois venir avec vos grands sabots. Oui, le film, dans sa partie en huis-clos tortionnaire essaie juste de montrer que le mec qui torture est lui aussi un sadique et qu'il ne vaut pas mieux que sa victime. Mais d'autres l'ont déjà montré avec une classe et un talent inimaginablement supérieurs (au hasard, en Corée du Sud, chez Nah Hong Jin ou Kim Jee Woon). Deuxio, pourquoi alors s'être embarrassé d'une heure horrible de rien où on suit un flic débile, bête et méchant qui ne sert à rien sinon à fournir de la matière pour un pauvre twist assez prévisible et qui enfonce encore une fois le clou du mauvais goût ?

Mais bon, je l'admets. La première heure est d'une nullité abyssale, et le huis clos est juste vraiment mauvais, donc j'ai du rengainer mon triomphal 1 pour que le film écope d'un tiédasse 2. Huis clos donc, mal écrit et interrompu à de nombreuses reprises par des interventions dispensables et téléphonées (littéralement), où la mécanique de la farce achève de montrer sa totale impuissance et son défaut d'écriture définitif. Les scènes de torture en elle-mêmes sont abjectes, le suspense dont elle font l'objet d'un goût plus que douteux et seule les quelques scènes finales relèvent enfin le niveau de l'ensemble, malgré une chute qui renforce le côté réac du propos, puisque le flic qui finalement semblait voir raison dans tout cela, redevient un connard dès qu'il semble avéré que le pauvre type soit vraiment coupable. Et le film de ne pas avoir l'audace ou l'intelligence de ne pas trancher ou de démentir. Un goût rance de "tout ça pour ça" et l'impression d'avoir vraiment été pris pour un énorme abruti par un film qui se veut malin là où son discours reste dangereux et plus que contestable.

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le 5 juil. 2014

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Krokodebil

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