Je suis en plein conflit intérieur à propos de ce film. Bourré de qualités d’un point de vue langage cinématographique mais caricaturalement mégalo dans le propos, le film me met face à mes contradictions. Je suis en effet très attaché aux sensations que le langage filmé peut me provoquer, et parfois ça peut me suffire. Certains films laissent intelligemment le spectateur remplir les interstices avec sa propre sensibilité (je pense dans des styles variés à Dersou Ouzala, Vallalha rising ou 2001 par exemple) ou apportent par la mise en scène le propos sans s’appesantir outre mesure sur la parole (je pense au début de Gravity en particulier). Ici, la technique est reine, mais le propos est balourd et passablement idiot ce qui ne gâche rien.
Parce que la mise en scène d’Inarritu est tout à fait extraordinaire dans Birdman, on accroche assez vite à cette histoire très nombriliste racontant la méta-histoire que tout le monde connait. Ce long pseudo plan-séquence qui dure jusqu’à la fin de la première représentation est tout bonnement magnifique, et on sent que le réalisateur a vu les derniers films de son compatriote Alfonso Cuaron, que ça lui a plu et qu’il a décidé de tourner son exercice de style en s’appuyant sur ce que la technique d’aujourd’hui permet (et qu’on voit de plus en plus depuis Les fils de l’homme en passant par les œuvres en motion capture comme le Tintin de Spielberg).
Avant de passer à ce qui fâche, j’ajouterai qu’Edward Norton est le meilleur acteur du casting, ce que je savais déjà, et que les rôles féminins, en plus d’être assez falots, sont cantonnés à des archétypes assez terrifiants de mère plus ou moins contrariée, de monument de castration ou de gamine. Pour le reste, Michael Keaton montre son talent et ses limites, et il n’y a pas grand-chose à ajouter.
Venons-en donc au propos d’Inarritu : L’acteur, le metteur en scène, les gens du spectacle donc, sont des personnages qui s’offrent à l’humanité. Avec leurs faiblesses, avec leurs blessures, avec leurs égos parfois démesurés, mais si ils sont parfois des parfaits connards dans la vie, c’est pour nous offrir à nous public ce que nous ne sommes pas capables d’atteindre.
Pourquoi pas.
Là où ça me gêne, c’est quand ça se matérialise de manière aussi grossière que Michael Keaton (pas seulement acteur mais metteur en scène et donc alter ego du réalisateur) s’envole au-dessus de la mêlée, flottant littéralement au-dessus de Broadway. De la même façon, la séance de masturbation qui suit le coup de feu, seul moment où la caméra est en lien direct entre le public et Inarritu, est presque obscène.
Enfin, le personnage du Birdman, déjà un peu épais en tant que voix-off, devient carrément superfétatoire, puisque répétant au fur et à mesure du film les inanités et les questionnements ineptes que se posent ces artistes (avec un grand A bien sûr).
Un film passablement déplaisant donc, mais par ailleurs un sacré tour de force. C’est donc plutôt une belle réussite, mais qui est loin du chef d’œuvre autoproclamé et annoncé parce qu’incapable de s’extraire de son sujet et des basses préoccupations de reconnaissance et de détestation du public et des critiques, manifestement incapables de comprendre à sa juste mesure le génie de son réalisateur.