La maîtrise technique au service du propos

Critiques qui s’emballent, nominations à gogo, récompenses dans tous les sens, titres de presse dithyrambiques, slogans racoleurs, bande-annonce alléchante... Tout annonçait une grosse déception après tant d’éloges.


Pourtant, je suis ressorti de la salle avec un sourire jusqu’aux oreilles et des étoiles plein les yeux.


En évitant de trop rentrer dans les détails pour ceux qui s’apprêtent à le voir, sachez juste que Birdman est remarquable sur sa forme.
De sa bande-son jazz minimaliste assurée par Antonio Sanchez (que je découvrais) qui apporte une réelle ambiance de spectacle vivant avec sa batterie à la mise en scène qui s’avère être une prouesse technique et collective, le film assure sévèrement et vaut déjà le prix du ticket. Lorsqu’on voit à quel point certains réalisateurs sont devenus fainéants dernièrement (coucou Clint), on ne peut que ressortir enivré(e) et sous le charme d’un telle audace de la part du mexicain Alejandro Gonzalez Inaritu. Le pari technique était très risqué et il a été remarquablement relevé et remporté.


C’était d’ailleurs essentiel puisque, cette fois plus que jamais, la forme du film avait été pensée pour servir le fond. Réussir à tourner ce film en quelques prises seulement permettait non seulement de rendre hommage au travail des acteurs et des metteurs en scène mais aussi à celui des techniciens, ces hommes de l’ombre jamais ou presque jamais récompensés qui font la réussite d’un film ou d’une pièce de théâtre. On ne les voit jamais et pourtant, ils s’affairent derrière les rideaux et en coulisses pour assurer crédibilité et synchronisation. Birdman ne fait pas que les montrer, il les sublime.
Réussir ce film permettait également de s’intéresser originalement à des sujets divers et variés tels que la condition d’acteurs, la popularité et la gloire éphémères, la peur de l’oubli définitif, les rôles d’une vie, les doutes, la pression, l’égoïsme de l’artiste, l’impact sur la vie de famille, les sources d’inspiration et de motivation extrêmes, le rôle des critiques dans un processus créatif, le besoin de se distinguer et d’exister, le rapport au public, l’image... On peut trouver une multitude d’autres sujets que le réalisateur a semble-t-il voulu insérer dans son film pour que celui-ci soit, au final, un film somme sur le monde du spectacle.
La caméra file librement assister de scène en scène, permettant au spectateur à la fois de voir l’envers du décor et d’assister à des scènes tantôt publiques lors de répétitions/représentations/discussions dans un bar, tantôt privées dans une loge, un couloir, sur le toit du théâtre ou d’autres lieux situés à proximité du St. James Théatre sur Broadway où tout a été tourné.


Mais pour que tout soit crédible, il fallait nécessairement de bons acteurs. Et si Michael Keaton était fait pour le rôle principal, lui qui fut longtemps suivi par l’ombre de Batman, les autres acteurs l’ont superbement accompagné pour une performance incroyable où la synchronisation et la confiance étaient primordiaux. Aucun acteur n’est en dessous et l’alchimie est parfaite. On notera un rôle incroyablement déjanté pour Edward Norton qui frise la folie (créative) à plusieurs reprises et une Emma Stone qui campe parfaitement la fille d’acteur junky et paumée mais qui aime plus que tout son père au point de lui asséner violemment quelques vérités.


Le film se déroule durant les quelques jours de représentations publiques d’une nouvelle pièce de théâtre avant la grande première, et l’on va assister à toute une série de petites situations mises en scène de façon dynamiques et sans temps morts. Le réalisateur joue des mouvements de caméra pour faire avancer son histoire, le déplacement de celle-ci le long d’un couloir faisant parfois office d’ellipse permettant de passer au lendemain. Très habile manière de raconter.


En sortant, l’on pense immanquablement à cette performance générale, à tous ces petits détails soignés et millimétrés, à ces petits riens qui font tout, à ce défi que s’était lancé l’ensemble des personnes ayant collaboré sur ce film, à cette foi qu’un réalisateur peut avoir en un projet et à sa capacité à le transmettre aux producteurs, acteurs et techniciens, à la capacité du cinéma à encore nous surprendre, à la maestria nécessaire pour conduire à bien un tel projet.


Hommage du cinéma au théâtre, aux acteurs de théâtre par des acteurs de cinéma, d’un réalisateur au monde du spectacle, Birdman est un véritable doigt d’honneur à ce cinéma qu’encense une frange importante de spectateurs, à ces producteurs et réalisateurs qui prennent leurs spectateurs, leurs acteurs et leurs techniciens pour des connards.
Comment en sortant d’un tel film on ne peut pas avoir envie d’entarter Luc Besson et toute sa maison de production ? Pour toutes ces merdes en série qu’on nous sert à la chaîne depuis des années ! À ces fichus films à la mise en scène épileptique où chaque plan ne dure pas plus de 3 secondes, pour masquer le jeu pitoyable d’acteurs qu’on emploie parce qu’ils sont bankables ou l’incapacité du réalisateur à penser un plan intéressant, même fixe, de plus de 5 secondes. Même un simple dialogue est prétexte à changer dix fois de plans. Quoi ? Il y a tellement de coupures que ça lors du tournage ? Bah je sais pas, embaucher de vrais acteurs, pas des mannequins. Vous voulez un mec crédible quand il met une rouste à une bande de connards ? Bah évitez les vieillards comme Liam Neeson !


Ce film ouvrira peut-être les yeux de certains sur ce qu’est une réelle performance d’acteurs, sur ce qu’est l’audace.


Birdman fait du bien et ça méritait d’être dit.

FlibustierGrivois
10

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Créée

le 31 mars 2015

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