Il m'est difficile de construire un avis pertinent dans un domaine qui m'est, sinon inconnu, pour le moins éloigné de ma prédilection. C'est que la danse, art de l'abstraction en mouvement, requiert un œil aiguisé qui suppose une solide connaissance des différentes techniques chorégraphiques. Qui est extérieur à cet univers n'a que son possible gout d’esthète pour les belles choses pour lui permettre de juger la synchronisation et la justesse des corps en communion. Partons alors de ce postulat pour tenter de rendre compte d'une expérience tout à fait singulière qui fait spécifiquement son charme. Angelin Preljocaj, reconnu dans le monde du ballet, s'empare ici du légendaire conte de "Blanche-Neige" qui à fait la gloire de la firme aux grandes oreilles pour mieux le revisiter et le sortir de l'ornière enfantine.

Si l'on retrouve bien évidemment tous les personnages qui ont contribué à son immense popularité(j'avoue, non sans gêne, ne pas avoir remis immédiatement certains noms sur les visages, notamment la séquence des sept nains), la belle idée du scénographe est d'avoir érotisés ces caractères pour troubler et émouvoir les spectateurs à qui restaient en souvenir les innocentes figures de la sagesse et la machiavélique image de la vilaine sorcière. Ce faisant, il inculque un certain frisson érogène qui de prime abord déconcerte mais finit par conquérir les esprits fripons que nous sommes devenus. Dans une économie de moyens ingénieuse qui ne dénature aucunement le spectacle tant les effets sonores et visuels présents remplissent parfaitement le cahier des charges, s'agitent avec grâce et légèreté des danseurs parfaitement à l'aise dans l'espace défini. C'est cette alliance parfaitement maitrisée entre l'agencement scénique et l'évolution précise des gestes qui fait la beauté infinie de l'opéra baroque. Divisé en trois grandes parties qui respectent plus ou moins chacune la temporalité du dessin-animé, les séquences ne se valent pas forcément.

L'introduction, sorte de présentation de l'histoire, débute doucement et ne prend réellement de l'ampleur qu'à l'apparition de la noire colombe. C'est elle qui dicte le ton et rythme le tempo de ses partenaires. S'ensuit un prolongement entre la divine Blanche et son éphèbe charmant tout en subtile langueur ou la sensualité est de mise. La douceur de l'une n'a d'égale que l'intrépidité de son farouche partenaire mais le surgissement de la funeste ombre ravive une violence pulsionnelle du meilleur effet. Sans se départir du passage obligé de la pomme empoisonnée, les comédiennes en réinventent le sens par leur jeux équivoque de l'attirance/répulsion. Moment magique ou la bestialité des mouvements dévitalise la pauvre princesse en même temps qu'elle revigore l'érotisme de sa chère rivale. Etait t'il alors besoin de figurer la séquence de la foret, ou la pauvre ère échappera non sans peine aux poursuivants lancés à ses trousses pour se retrouver recueillie par les fameux nains? Séquence la plus inintéressante qui voit les interprètes inventer des pas incohérents avec la globalité et ou arrive d'on ne sait ou un renne peu probable. Le temps faible n'entache heureusement pas les retrouvailles pleines de dextérité des deux amants qui enchainent les séquences homériques avec fougue et talent. La conclusion, dans ce même esprit, envois valser en enfer l'imprudente perturbatrice du bonheur conjugal.

Technique irréprochable, décors minimalistes mais d'une confection exemplaire et "acteurs " au meilleur de leur possibilité physique forment la superbe réussite de l'entreprise que ses quelques passages à vide n'arrivent pas à entraver. De la belle ouvrage qui donnera envie aux néophytes, tel que l'auteur de ces lignes, de se plonger avec délices dans les affres de la danse contemporaine!
Sabri_Collignon
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le 11 janv. 2015

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