"Bande de vieilles barbaques ! Vous m’écœurez !"

Premier long-métrage du studio Disney, premier dessin animé à la fois en couleur et sonore de l'époque, Blanche-Neige et les Sept Nains a forcément quelque chose d'unique. Et pourtant, il accuse nombre de défauts : il pourrait être rebaptisé "Grande-Niaise et les Sept Crétins" tellement le pitch de départ est artificiel ; on pourrait questionner la légitimité de la violation de propriété de Blanche-Neige (BN pour les intimes), comme la viabilité du modèle économique consistant à stocker des monceaux de diamants dans un entrepôt dont la clé est juste à côté de la porte. On pourrait de même souligner l'aspect effrayant du prince, entre le gamin et le travesti ; ou encore le montage faisant trop penser à une suite de court-métrages juxtaposés et non pas à un long avec une véritable unité. Mais Blanche-Neige est loin de se réduire à des erreurs pardonnables pour un premier jet.

BN, c'est aussi la mise en place de codes qui vont perdurer pendant au moins 80 ans s'il vous plaît : le manichéisme, la jeune et jolie princesse, la fin heureuse, les premiers sidekicks qui balancent déjà des punchlines du plus bel effet ("C'est une femme, et toutes les femmes, c'est du poison ! Elles sont pleine d'artifices !") et tout le toutim.
Mais ce film est avant tout la création d'un univers singulier qui marquera des générations d'enfants et d'adultes, un univers sombre et angoissant. Oui oui, Blanche-Neige n'a pas tant vieilli que ça ! Vous ne me croyez pas ? Il est vrai que dans toutes les forêts que tout le monde connaît, les arbres prennent vie et ont bien évidemment juste envie de vous tuer ! Même les personnages secondaires sont effrayants !

Et je n'ai pas encore parlé des personnages principaux qui ne sont pas en reste, notamment une : la Méchante Reine en personne, source de cauchemars tous plus horribles les uns que les autres. Il faut dire que comme méchante, la première dans son genre se pose là : ses premières paroles ? "Ramènes-moi son cœur !" Ses actes ? Une transformation tellement immonde qu'elle fait encore aujourd'hui partie des scènes les plus effrayantes de tous les dessins animés Disney. Elle a tout : la cape d'une noirceur insondable, le rire démoniaque, le corbeau de malheur, la perfidie, tout je vous dis !

Mais je perçois votre circonspection, notamment concernant le discours nian-nian du film. Vous en connaissez beaucoup des dessins animés pour les enfants si bucolique que la méchante parvient à tuer le personnage principal pour mieux mourir ensuite, les os broyés par un rocher ?!? Sans parler des vautours qui viennent la dépecer après ça !

J'ai également été frappé du nombre de références, mythologiques pour la plupart, qui sont présentes dans le film. La référence à la pomme du jardin d'Eden est clairement affichée, mais d'autres sont plus subtiles : lorsque la reine sort de son antre sur une barque, par les souterrains du château rappelant un long fleuve stagnant, il est difficile de ne pas penser à Charon, conducteur de la barque sur le Styx qui mène les âmes des défunts au royaume des morts, ce qui accentue la terreur que peut susciter la Méchante Reine.

C'est ainsi que Blanche-Neige et les Sept Nains demeure un très bon film d'animation malgré son âge, n'ayant pas à rougir devant les dernières productions du studio, loin s'en faut.