Critique / Cannes : Blood Ties (par Cineshow.fr)

Guillaume Canet est venu présenter sur la croisette son nouveau film, Blood Ties, adaptation directe de Les Liens du Sang dans lequel il partageait l’affiche avec François Cluzet. Co-signé et produit par James Gray ce qui offre directement une crédibilité internationale au film, Blood Ties est donc le premier essai outre-Atlantique pour le réalisateur français qui avouait il y a quelques temps combien ce passage ne s’était pas spécialement passé dans la simplicité. Nouvelles contraintes, législation différente, tournage en anglais, à New York, autant d’éléments propices à complexifier une entreprise pourtant portée par un casting de premier ordre, Clive Owen, Billy Crudup, Mila Kunis, Marion Cotillard, Zoe Saldana ou encore Matthias Schoenaerts. Ouvertement annoncé comme un polar hommage aux films de Scorsese des années 70, Blood Ties suscitait autant d’enthousiasme que d’anxiété en laissant une question identique à la bouche de tous les spectateurs, Guillaume Canet a-t-il réussi son passage aux Etats-Unis ?

La réponse est… pas vraiment, même si Blood Ties est loin d’être déshonorant. A vrai dire, il est presque difficile de se faire un avis sur la version Cannoise qui fut projetée tant cette copie ne semble pas être le montage finalisé. On suppose d’ailleurs très fortement que le film sera partiellement remonté avant sa sortie sur le territoire français fin octobre. En adaptant un film qu’il connait à priori par cœur pour avoir joué dedans, Guillaume Canet s’assurait de maîtriser l’essence de son histoire, une situation idéale pour passer de l’autre côté de l’atlantique et tourner à New York sur les pas de ses maîtres à penser. Image soignée avec le grain caractéristique de l’époque, photographie excellente, reconstitution parfaite, rien ne manque pour que l’immersion soit totale. De ce point de vue, Blood Ties fonctionne merveilleusement bien en montrant à nouveau que Canet est un fin technicien, y compris dans une situation nouvelle et peu évidente pour lui. Mais à trop rendre un hommage appuyé, et copier plus que s’inspirer le cinéma qui a fait sa culture, Canet se perd dans sa narration et livre une copie très peu engageante et au rythme franchement bancal. En se permettant une présentation des personnages sur presque 1h30, en développant leur psychologie, leur passé, leurs liens, le réalisateur s’assure de poser des pivots solides pour construire son intrigue et faire que l’identification soit limpide pour les spectateurs. Sauf que l’on se rendra assez vite compte que ceci n’est finalement qu’un cache misère pour masquer une histoire bien mal construite, très lente, et pas du tout adaptée à un format de 2h20.

Pourtant, la patte de James Gray est indéniable dans l’écriture des personnages centraux qu’interprètent brillamment Clive Owen et Billy Crudup. Deux frères radicalement opposés, l’un est un flic intègre, droit, l’autre sort de prison et cherche à faire se refaire une santé financière pour offrir à sa femme une vie meilleure. Les tensions sont palpables, chaque scène où les deux acteurs partagent l’écran est un pur moment de cinéma mais l’histoire reste stagnante. Guillaume Canet peine à instaurer un véritable poids à l’ensemble, ce fameux sentiment d’étau qui se referme, détruisant progressivement la fratrie et le terreau familial de l’intérieur. Les séquences s’enchaînent maladroitement (certaines semblent même complètement inversées chronologiquement parlant), les digressions sont nombreuses et au final, la mise à l’écart des spectateurs est inévitable. Ni empathique ni énervante, la galerie de personnages n’est que peu évocatrice tant et si bien que le destin qui se jouera pour chacun d’eux n’intéresse que très ponctuellement. Une situation que synthétisent assez bien trois personnages emblématiques du soucis de Blood Ties, ceux de Mila Kunis, Matthias Schoenaerts et Marion Cotillard. Même si importants du point de vue narratif, leur présence plus que dispersée dans un long-métrage de 2h20 ne permet pas de véritable identification tant et si bien que la distance qu’ils entretiennent vis-à-vis de l’histoire est énorme, y compris lorsque les points saillants du récit viendront les mettre au premier plan.

A vrai dire, on suit pendant bien trop longtemps et d’un œil moyennement intéressé cette très longue introduction, cette explosion familiale qui devrait être génératrice de passion mais qui ne sert au final que de tremplin au vrai cœur du récit. Il faudra attendre près de 1h45 avant que l’histoire ne décolle, avant que le personnage de Clive Owen ait retrouvé de quoi générer un business dans la durée. Pourtant, alors que le rythme commence à s’emballer, Canet dégoupille immédiatement son film pour l’emmener progressivement vers le final. La frustration est immense d’autant que la course poursuite de fin laissera un franc gout d’inachevé par la non nervosité absolue des images, n’aidant absolument le propos qui devrait à ce moment précis atteindre des sommets d’intensité. Presque plus contemplatif qu’haletant, ce passage est à nouveau très emblématique du problème inhérent au film, une incapacité générale à instaurer une véritable dynamique aux images y compris lorsque la scène l’impose. Reste une dernière séquence très réussie et émouvante en confrontant les deux frères, mais cela n’aidera pas à relever le niveau d’une œuvre franchement faillible.

Frustrant, c’est le mot qui semble convenir le mieux à Blood Ties. Canet avait prouvé avec Ne le dis à personne qu’il pouvait prendre littéralement les spectateurs sous son aile en offrant de grandes séquences à la tension palpable, mais rate son coup avec cette histoire portée sur le sol Américain. Reste une reconstitution New Yorkaise des plus réussie, des interprétations générales de hautes volées (exception faite un peu de Marion Cotillard et Mila Kunis plus fades que leurs collègues) mais cela ne suffit pas à faire un bon film. Blood Ties gagnerait à s’affranchir d’un peu de matière, à revoir l’ordre de certaines scènes et surtout à revoir une partie du montage pour lui donner davantage de coffre. Ce voyage chez l’oncle Sam n’est donc pas vraiment une réussite mais semble avoir été une expérience extrêmement enrichissante pour son réalisateur. On attend désormais une version plus aboutie du film et le prochain projet du réalisateur qui on l’espère, aura tiré toute les conclusions de cette aventure.
mcrucq
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le 21 mai 2013

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Mathieu  CRUCQ

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